JD Beauvallet, passeur de passions (2/3)

« Une chanson, ça condense une vie entière »

On ne présente plus JD Beauvallet, pilier des Inrockuptibles dont il est resté rédacteur en chef musique pendant plus de trente ans. À l’occasion de sa venue à Toulouse pour le Disquaire Day, il nous a accordé une foisonnante interview publiée sur notre site en trois volets.

La transmission. C’est le carburant qui alimente JD Beauvallet depuis l’adolescence. À treize ans, les chansons du Velvet Underground et de Lou Reed lui ouvrent les portes d’un monde aux horizons insoupçonnés. Dès lors, impossible de faire marche arrière. Sa curiosité insatiable l’imprègne des mystères de chaque album, livre ou film qui lui tombe sous la main. Lorsqu’il commence à écrire pour Les Inrockuptibles, il se fait une joie de partager inlassablement chacune de ses découvertes, avec un enthousiasme contagieux retracé dans son autobiographie Passeur (2021, Éditions Braquage). Dans ce deuxième entretien, il partage avec nous son regard sur la littérature, les mutations de la pop ou le revival post-punk.

Ton livre Passeur révèle à quel point la transmission est capitale pour toi. À partir de quand ta passion s’est-elle transformée en mission ?

Avec les radios libres. Le jour où il y en a une qui s’est montée dans mon quartier, je suis allé la voir pour faire une émission. Comme j’avais déjà une belle collection de disques, elle m’a proposé d’intégrer l’antenne le soir-même. Le premier disque passe et je réalise que ce que j’aime, c’est partager mes goûts. C’est là que je décide que ça sera ma mission sur terre. Chaque jour, 60 000 chansons sont mises en ligne sur Spotify, et il manque des passeurs. Nous avons besoin d’eux pour les écouter. Transmettre, c’est hyper important. C’est un privilège énorme que les gens adoptent un disque dont tu dis du bien. Quelle joie ! Ce sont des petits choix qui influencent une vie, la dévient un peu, souvent pour le meilleur. Ça rend les gens plus curieux, plus ouverts aux idées neuves.

Tu abordes souvent ton incorruptible enthousiasme sous l’angle de la monomanie. Un passionné en proie à l’exultation constante cache-t-il un malade en lui ?

Oui, il y a une pathologie. Les disques remplacent les amis qu’on n’a pas. Avoir une intimité avec une œuvre, ça peut être exclusif : même chez moi j’écoute la musique au casque. Ça force à vivre dans sa tête, contre l’extérieur. Il n’y a pas beaucoup de moments dans la vie où on a le droit de fermer la porte à clef. Et la musique c’est vraiment ça. Moi et mon casque on est un petit couple sympa.

C’est ton pseudo, JD, qui t’a permis de t’émanciper dans l’écriture. Créé-t-on mieux lorsque qu’on se choisit une autre identité ?

Sans ça, je n’aurais rien fait, je ne serais pas sorti de chez moi. J’étais réservé, angoissé, complexé. Il fallait que j’invente un personnage. Lou Reed n’a pas vu Jean-Daniel Beauvallet, ce garçon né à Montluçon qui a grandi dans la forêt et n’aurait pas osé le regarder dans les yeux. Plus que de l’émancipation, c’est de la création. Beaucoup de musiciens m’ont dit que sans personnage, ils ne seraient jamais montés sur scène. Le modèle absolu c’est Bowie qui en développe un nouveau pour chaque album. Des fois, il avait un peu de mal à savoir qui il était, lequel il devait endosser. C’est compliqué de sortir masqué tout le temps.

Tu as forgé ta plume en écrivant pour les fanzines Kakoo, Paresse éprouvante.

Paresse éprouvante je l’avais créé avec un copain styliste dont les vêtements n’intéressaient personne, tout comme la musique que j’adorais. Les fanzines, c’était un truc de rejetés, de parias. Une vengeance. Ça a un côté très militant.

Ont-ils joué pour toi un rôle prescripteur au même titre que la presse rock ?

Oui, quand j’allais chez New Rose je ressortais les mains pleines de fanzines. Nineteen était hyper important. J’aimais les titres avec un esprit de dérision, comme Trout Fishing in Leystonstone, quartier délabré de Londres, où il n’y a ni rivières ni truites (rires). À Manchester, j’achetais les fanzines de Dave Haslam, qui est devenu le DJ légendaire de l’Haçienda. Alan McGee, le boss de Creation Records, avait monté Communication Blur pour tous les groupes cultes qu’il avait révélé (Jesus and Mary Chain, Primal Scream). Et les fanzines anglais avaient un avantage que j’adorais, ils donnaient un flexi-disc ! Je les achetais religieusement et je me suis rendu compte que certains coûtent une fortune aujourd’hui. C’est curieux qu’un objet qui paraissait temporel et dérisoire ait pris une telle valeur. Les journalistes qui n’avaient pas trouvé leur place dans les journaux traditionnels ont monté leurs propres médias. Les Inrocks, c’était ça. Créer un journal qui n’existe pas.

Trout Fishing in Leytonstone numéro 03

Pour être un journaliste musical éclairé, faut-il rester un éternel adolescent ?

Il faut garder cette capacité d’émerveillement, une naïveté. Gamin, j’adorais les pochettes surprises. Je pensais toujours dénicher un trésor. Partir à la chasse aux 45 tours, c’est pareil… Quand je faisais CQFD (ndlr : compilations destinées à la découverte de nouveaux talents, constituées à partir de démos envoyées par les lecteurs des Inrocks), je recevais 6 000 maquettes. J’avais un mois pour les écouter, en veillant jusqu’à cinq ou six heures du matin. Quand tu tombes sur un groupe comme Cocoon, tu te dis « mais comment sont-ils passés à travers les mailles du filet, pourquoi est-ce que personne ne les as remarqués? » Tu te retrouves à chialer. Il y a la fatigue, la nervosité, l’exaltation.

Tu es aussi un grand lecteur de romans. Quels sont les livres qui t’ont appris à écrire ?

La vie d’un païen de Jacques Perry, une incroyable trilogie sur un jeune homme venu d’un milieu défavorisé qui devient un artiste mondialement connu. Je vénère Emmanuel Bove, George Hyvernaud, Charles-Ferdinand Ramuz. Ils ont un trait commun, c’est leur économie. Il n’y a pas un mot, une phrase de trop. C’est épuré, sur l’os. On sent qu’il y a eu un travail de soustraction phénoménal. Fondamentalement, j’aime les choses épurées, même dans la musique. Il n’y a pas de parasite pour se mettre entre l’artiste et mes oreilles.

Le journaliste musical n’est-il pas à la jonction parfaite entre musique et littérature ?

Si, parce que ça part d’une feuille blanche. Tout est à inventer. Il n’y a aucune limite. On peut débuter une chronique sur un groupe et ça finit en pensum sur la société. Dans L’Attrape-cœurs, Salinger écrit « L’ennui avec moi, c’est que j’aime quand quelqu’un s’écarte du sujet ». Et digresser, c’est l’histoire de ma vie. Je ne fais que ça. Passer de l’universel à l’intime, c’est une façon d’écrire que j’utilise énormément. Des fois le politique n’est pas là où on croit qu’il est. Une chanson, ça condense une vie entière. C’est de la musique, de la littérature, un scénario de film en trois minutes. C’est ça qui fait toute sa force et sa beauté. Si j’étais chargé de coller le sticker « Parental Advisory », je le mettrais sur tous les albums. Tous les disques sont dangereux. Ils peuvent changer des vies.

Dans Les années new wave, tu partages ta passion pour le post-punk, en plein revival. Ces nouveaux artistes entrent-ils en connexion avec des sonorités et thématiques actuelles ou réécrivent-ils la musique qu’ils aiment ?

Il y a de tout. Certains singent ce qui se faisait à l’époque et sont dans le film de costumes. D’autres, comme Gwendoline, utilisent des techniques de production très stratifiées, qui viennent de la dance, du R’n’B. Ce ne sont pas celles qu’on utilisait avant. Je suis séduit quand des artistes s’inspirent de cette scène-là, mais avec une dynamique, une façon d’écrire actuelle. Si ça parle tant aux gamins maintenant, c’est parce qu’ils se retrouvent face aux même ennemis. Les sources d’angoisse sont vertigineuses. J’aimerais pas avoir vingt ans aujourd’hui. Gwendoline, c’est la bande-son idéale de ce monde confus et chaotique. Par contre, on manque un peu d’escapism. On avait Culture Club, Duran Duran. J’aurais rien contre un groupe un peu plus léger, qui mette du sucre.

Comment résumerais-tu tes années 80 à toi ?

Une impression de vivre dans un chaos permanent, mais un bon chaos, où on détruisait et reconstruisait sans cesse les choses.

Tu as écrit un article sur comment Lana Del Rey a renouvelé la pop. Quel est ton regard sur les mutations de la pop actuelle ?

Ce qui me fascine dans cette scène qui veut tout expérimenter, gloutonne de musique, c’est sa capacité à s’approprier des pans entiers de l’avant-garde. Lana Del Rey a apporté une dimension sexuelle qui manquait au R’n’B, de la subtilité dans une musique artificielle. Avec Billie Eilish il y a une cassure, un son neuf qui apparaît et dont on mesurera l’importance dans les prochaines années.

Quel est le disque dont on parlera encore dans cinquante ans ?

Random Access Memories de Daft Punk. Un sujet éternel de fascination. Ils ont senti l’air du temps et sont sortis de leur époque. C’est un groupe prodigieux pour moi.

Quel est le dernier son qui t’a marqué ?

Une sonnerie de téléphone Nokia, imité à la perfection par un mainate dans un arbre. Qu’un oiseau qui est censé symboliser la liberté soit lui aussi accroché à son téléphone, c’est hyper triste. Un tel clash entre la nature et la modernité, ça en dit long sur l’invasion de la technologie.

Ne manquez pas les deux autres parties de notre entretien avec JD Beauvallet où il nous livre ses secrets sur l’art de l’interview et sa trajectoire au sein des Inrockuptibles.

D’un zine à l’autre – Guillaume Gwardeath

Activiste acharné du fanzinat, Guillaume Gwardeath a édité de nombreux fanzines (Bougl, Extra Jazz) et prêté sa plume à d’incontournables publications (Abus Dangereux, Kérosène). Il a sillonné l’Hexagone pour aller à la rencontre des artisans de la presse alternative actuelle. En résulte FANZINAT, un exultant documentaire où se côtoient rap et punk, littérature, graphisme et football. Le tout enrobé dans un cocktail bien frappé à base de colle, de ciseaux et de papier.  Rencontre avec celui qui se définit comme un « observateur passionné ».

Guillaume Gwardeath

Comment as-tu découvert les fanzines ?

Dans une boutique pour hardos. Au milieu des bandanas et bracelets à clous, il y avait Possessed By Speed, un fanzine créé par des fans locaux de speed metal. Impressionné par quelques pages mal photocopiées, j’étais frappé par la possibilité qu’ils aient fait la publication eux-mêmes. Je les ai contactés et j’ai intégré leur équipe. Il habitaient le village d’à côté, certains allaient être au lycée avec moi. Ça a été une découverte, un coup de cœur, une immersion.

Possessed By Spead numéro 7

Quel lien entretiens-tu avec le support fanzine ?  

Je l’adore. J’ai noué avec lui une connexion physique proche du lien amoureux. Mes fanzines sont avec moi quand je dors, dans une bibliothèque qui est le premier meuble près de mon lit. Je peux tendre le bras pour en lire un avant de me coucher. J’entretiens aussi une relation émotionnelle faite de nostalgie et d’intérêt constant. La nostalgie voudrait qu’on se fige sur une époque sacralisée, regrettée, et qu’on ne jure que par ce passé révolu. Or j’ai toujours acheté des fanzines et je continue à le faire. Je me rends dans des salons. C’est un rapport affectif continu.

Comment est née l’envie et l’idée de réaliser le documentaire FANZINAT ?

FANZINAT est dû à une impulsion originelle de Laure Bessi. Elle est venue visiter la Fanzinothèque de Poitiers dont j’étais directeur, et je lui ai dévoilé l’univers des fanzines. En tant que journaliste, elle s’est interrogée face à la motivation à toute épreuve de ceux qui les créent, mus par leurs seules passions et non par la perspective de voir leurs piges rémunérées. Comme il n’y avait pas vraiment de documentaires qui traitent le fanzine dans son ensemble et les spécificités de la scène française, elle m’a dit : « pourquoi ne pourrions-nous pas le faire ? »

Les réalisateurs de FANZINAT : Guillaume Gwardeath, Laure Bessi, Jean-Philippe Putaud-Michalski.

Sur quels critères se sont portés le choix des intervenants ?

J’avais dressé une liste de 200 personnes intéressantes et Laure m’a dit que j’étais complètement dingo ! (rires) Il a fallu arrêter notre choix sur une vingtaine de participants. On a fait en sorte d’éviter de se piéger nous-mêmes en ne convoquant que des vétérans. Le film explique que le fanzinat n’est pas qu’un média du passé, donc c’était important de montrer qu’il y a du sang neuf. On voulait éviter qu’il y ait une domination masculine écrasante car tout le devant de la scène du fanzinat des années 80 et 90 était occupé par des mecs. Un autre critère était l’éclatement géographique, avec des gens de Saint-Étienne, Montbéliard, Tours, Saint-Malo, etc…. Il nous tenait à cœur d’exposer la diversité des types de fanzines. Nous ne voulions pas parler que de rock. On est allés chercher d’autres thématiques qui ont surpris des spécialistes, comme les fanzines de rap avec Bursty 2 Brazza ou Gazzetta Ultra, sur le mouvement ultra lié au football (ndlr : les ultras sont des supporteurs soutenant de façon fanatique leur équipe fétiche lors de compétitions sportives).

Le film accorde une place de choix à la scène actuelle, qui émerge avec internet et les réseaux sociaux. Quel regard portes-tu sur cette nouvelle vague ? 

Ce sont de nouvelles pratiques. La définition classique du fanzine ne fonctionne plus dès lors que ce fanzine est produit par un élève des Beaux-Arts dans le cadre de son travail scolaire. Il y a une querelle des Anciens et des Modernes à ce propos, mais le fanzine est un objet mouvant qui n’a pas de cahier des charges. Tout un pan de ce nouveau souffle artistique « post Beaux-Arts » est relié à l’histoire du fanzinat, car il s’inscrit dans la pratique de la micro-édition et de l’auto-édition, incarnant une frange de la population qui estime son art et sa culture sous-représentée.

Le documentaire expose aussi la frontière ténue entre fanzinat, journalisme et livre (d’artiste).  Comment, de rédacteur de fanzines, devient-on journaliste ou auteur, comme l’illustre ton propre parcours ? 

Le fanzinat est une bonne école pour le journalisme. Frank Frejnik (créateur du fanzine Violence et rédacteur en chef de Punk Rawk) explique que créer son fanzine a été un stage pratique pour apprendre des recettes qui sont aussi celles du journaliste : aller chercher l’info, mener une interview, assurer le contact avec les attachés de presse, etc. L’élément commun c’est la passion pour l’écriture. Écrire de manière professionnelle est une des continuités de la rédaction de zines. J’avais travaillé pour la branche musicale de Vice, Noisey, et le rédacteur en chef, je crois, trouvait que les journalistes issus d’écoles spécialisées étaient trop formatés. Il voulait renouveler la rédaction avec des anciens du fanzinat qui avaient une écriture plus personnelle et dont il connaissait le style. Le fanzinat est un vivier pour ça.

Interview de Marsu et de Thomas des Burning Heads pour FANZINAT

Tu es également en cours d’écriture d’un livre consacré aux fanzines. 

L’idée c’est de faire une histoire orale en donnant la parole à ceux qui ont contribué au fanzinat, et non pas de s’exprimer à leur place. Il y aura des interviews où ils feront le récit de leur passage dans le fanzinat, mais aussi des archives de journaux ou d’émissions de radio afin d’inclure ceux qui sont morts. Une partie anthologique sera dédiée à la reproduction de couvertures et de pages intérieures de zines.  Il y aura des choix drastiques car on ne peut pas couvrir la totalité des publications, mais j’ai espoir que le livre puisse offrir un aperçu de la production de fanzines en France depuis leur apparition jusqu’à nos jours.

En tant qu’auteur, tu apprécies particulièrement l’écriture d’histoires orales. Qu’est-ce que tu affectionnes dans ce format ? 

J’apprécie la démarche journalistique : voir les gens, leur poser des questions, rapporter leurs réponses. Ensuite j’évite de trahir leurs propos en les réexprimant. Je ne suis pas fan des ouvrages se mettant à la place des acteurs qui narrent l’histoire. Je peux ne pas aimer leur style. J’ai des doutes quant à la véracité de ce qui est raconté, tandis que les propos directs d’un témoin expriment sa version, avec ses mots. Je suis plus à l’aise avec le maniement de ce matériau brut.

L’histoire orale des Burning Heads et de tout un pan de la scène française indépendante des années 90, par Guillaume Gwardeath et Sam Guillerand

Tu as longtemps travaillé à la Rock School Barbey, salle de concert bordelaise emblématique. Quel a été ton regard sur le monde du live en tant que programmateur ? 

Si on veut rester fan d’un groupe, il vaut mieux ne pas le voir dans ses mauvais jours, être témoin de ses caprices et de ses exigences. On peut déchanter ! Heureusement il y a des gens fantastiques à la hauteur de leur réputation. C’était une expérience intéressante mais je ne me serais pas vu programmateur toute ma vie. C’est un métier où il est bon de se renouveler. Le piège c’est de trop rester en place et c’est un reproche que je peux faire à la profession. La programmation n’est pas une sinécure. Je suis ami avec de nombreux programmateurs et je vois bien qu’ils souffrent. (rires)

Quelle est l’ultime astuce DIY que tu aurais envie de donner à quelqu’un ?

Faire croire qu’on fait tout tout seul, mais toujours faire avec les autres.

Extra Jazz 44 – Automne 1997

Retrouvez toute l’actualité de Guillaume Gwardeath et du film FANZINAT ici :

www.fanzinat.fr

www.gwardeath.fr

www.metrobeach.fr

Splendeurs et excès de l’hyperpop

Qu’est-ce qui rapproche Sophie, Dorian Electra ou 100 Gecs ? Ces artistes partagent une obsession immodérée pour les nouvelles technologies et la pop, dont ils s’ingénient à distordre les codes pour façonner une nouvelle esthétique, « l’hyperpop ».

L’hyperpop est un mouvement, une tendance musicale qui s’est développée avec une jeune génération d’artistes biberonnée à Internet. S’emparant des codes de la pop mainstream, elle les distord jusqu’à sculpter une esthétique excessive qui façonne une « hyper » pop. Elle ne fait pas référence à un genre musical précis, mais embrasse au contraire une diversité de sonorités issues de tout ce que l’industrie a produit au cours de ces trente dernières années.

Cette génération de musiciens s’illustre par son refus d’exploiter les arcanes d’un seul genre, préférant jongler entre toutes les références libres d’accès sur la toile : des vagues électroniques successives (eurodance, dubstep, electroclash, witch house) au courant emo souvent moqué (le crunkcore, pop-punk, screamo) de nouveau en vogue depuis l’avènement du cloudrap, né sur Soundcloud au début des années 2010, plus éthéré et lo-fi que le rap mainstream. En célébrant ces styles musicaux dévalués, l’hyperpop se joue des critiques qui essaieraient d’établir un quelconque bon goût, et exhume de l’ombre une multitude d’effets sonores qui exhaussent la pop d’une aura criarde, foncièrement chaotique.

Aux origines, le label PC Music

Pour remonter jusqu’aux racines de l’hyperpop, il faut retourner en 2013 à Londres, lors de la création du label PC Music, fondé par le producteur et musicien AG Cook. Passionné par la technologie et les nouvelles tendances musicales des années 2010, il met à dessein le numérique pour engendrer une pop hybride et expérimentale, empreinte d’un travail nourri de réflexions autour du sound design.

PC Music est imprégné de cyberculture, des voix féminines très décalées qu’il module dans ses chansons à l’esthétique visuelle 2.0, entre Comic Sans MS et mise en scène de soi sur les réseaux sociaux. AG Cook partage avec l’artiste protéiforme et emblématique de l’hyperpop Sophie l’ambition d’explorer le son d’une matière inédite à travers le prisme numérique. En 2015, ils créent ensemble le projet QT, qui dévoile une chanteuse fictive à la voix ultra-pitchée vantant les mérites d’une boisson énergisante imaginaire dans le clip « Hey QT ». Les frontières entre virtuel et réalité sont brouillées mais très rapidement, la fenêtre virtuelle défrichée par l’hyperpop se donne à voir comme une réalité augmentée, ouvrant la voie à tous les possibles.

La première compilation du label sortie la même année, PC Music Vol.1 est toute imbibée de cette atmosphère informatique dont se jouent cette nouvelle vague d’artistes comme Hannah Diamond. En 2017, la chanteuse de pop à succès Charlie XCX sélectionne AG Cook pour diriger la création de son projet artistique. Un véritable fer de lance pour le label qui donne un nouveau tournant à la carrière de la chanteuse, qui prend un virage électronique plus marqué et multiplie les références aux années 90. De plus en plus d’artistes pop mainstream sont conquis par cette veine futuriste, l’hyperpop prend de l’ampleur.

Une playlist Spotify propulse le mouvement

Malgré ces nombreuses avancées, c’est en 2019 que l’hyperpop finit par déferler dans les oreilles du grand public. La raison ? Une playlist Spotify, sobrement nommée « HYPERPOP », prête à s’emparer de tous les curieux. Dans une interview au New York Times, Lizzy Scabo, éditrice pour la plateforme, explique avoir eu l’idée de créer cette playlist après avoir vu apparaître le mot « hyperpop » dans les métadonnées des titres écoutés sur le site de streaming depuis 2014. C’est la première fois qu’une playlist définit et érige un mouvement musical au pinacle, les listes de lecture étant habituellement créées suite au succès d’un genre. Ce phénomène témoigne de l’influence des plateformes de streaming sur les auditeurs, leur manière d’écouter et concevoir la musique – Spotify cumulant à lui seul plus de 400 millions d’utilisateurs actifs.

L’explosion 100 Gecs

Néanmoins, le succès de la playlist fait écho à celui du groupe 100 Gecs (duo américain créé en 2015) qui connaît une audience virale en 2019 avec ses opus 1000 Gecs et 1000 Gecs and the Tree Of Clues, disque de remixes avec des artistes hyperpop tels qu’AG Cook, Charlie XCX ou Dorian Electra. 1000 Gecs, c’est un cocktail détonnant d’à peine 23 minutes qui mixe allègrement dubstep, trap, rock emo, crunckcore… Tous ces courants qui ont habité le duo pendant leur adolescence mais sont peu reconnus, souvent raillés, irriguent leurs chansons jusqu’à la saturation. Mêler les références est tellement évident pour eux qu’une seule chanson englobe plusieurs genres, comme « Stupid Horse », morceau de deux minutes qui donne l’impression d’un medley sous acides.

Une composition frénétique comme celle-là, fréquente dans l’hyperpop, est le reflet d’une génération de musiciens surconnectée qui superpose pêle-mêle les sonorités comme autant de liens ouverts dans la fenêtre d’un navigateur. Il y a tant d’informations que les hiérarchiser devient obsolète, et c’est un peu ce qu’exprime le duo avec ce disque. Pete Wentz, le bassiste du groupe de pop-punk Fall Out Boy, qui a collaboré avec 100 Gecs pour la chanson « Hand Crushed by a Mallet » compare le groupe à Nirvana, Lady Gaga ou Skrillex et loue leur audace sonore dans une interview à Pitchfork : « ils ont créé un espace qui n’existait pas pour cette musique. » 100 Gecs, qui a commencé sa carrière en donnant des concerts virtuels sur le jeu en ligne Minecraft (comme beaucoup d’autres artisans de l’hyperpop) va fouler le sol de réelles salles de concerts lors de sa tournée de 2022 aux États-Unis et en Europe.

Réinventer la pop avec Internet

L’hyperpop se distingue par la manière dont les artistes intègrent le web à leur production. Comme un instrument de musique ou le leader d’un groupe, il est omniprésent dans chacun des morceaux. Internet est une extension de la pop, il la sublime et la déforme, jusqu’à lui donner un visage inédit. Ces nouveaux artistes ont ingéré toute la musique disponible gratuitement en ligne. Cette consommation gargantuesque infuse leurs compositions jusqu’à l’excès induit par les glitchs (effets sonores défaillants) qui miment un bug informatique avec des répétitions de mots incessantes. Entre chant, rap et cris, les voix sont tellement auto-tunées que les paroles sont parfois inaudibles et engendrent une texture hybride, où la machine s’est fondue dans l’humain.

Instagram et Reddit ont été des compagnons d’adolescence et ne comptent pas les quitter de sitôt à l’âge adulte, comme un atteste l’esthétique acidulée de leurs clips japonisants, ponctués de références aux jeux vidéos et aux mèmes. La mise en scène de soi exacerbée par les réseaux sociaux n’est jamais très loin, comme en atteste « Influenceur », tube du duo Ascendant Vierge, devenu un véritable phénomène à l’été 2020. Entre techno gabber et chant lyrique, ils questionnent l’abus de selfies dont se gargarise la génération Z tout en incitant son public à se défouler sur des morceaux taillés pour les rave-parties.

Outre les paroles, les chansons puisent dans le sound design numérique, comme la présence récurrente de sonneries de téléphone ou bruits de notification, des sonorités incrustées dans le quotidien auxquelles il est difficile de se soustraire. Le tempo est ultra-rapide, rivé à l’accélération d’une époque pressée où l’économie de l’attention fait défaut. Le format de l’hyperpop répond à ces tares avec des morceaux très courts d’une ou deux minutes, plus succincts encore que le format radio. Le public cible de l’hyperpop est branché sur les réseaux, notamment TikTok qui joue un rôle majeur dans la diffusion du mouvement. Les séquences accrocheuses des titres attirent l’auditeur et sont utilisées en tant que support par les créateurs numériques. Le courant gagne en visibilité et répond également aux besoins de l’alt-TikTok, une communauté avide de nouveautés où le bizarre règne et à ce jeu, l’hyperpop tape à l’œil excelle.

Les artisans de l’hyperpop

Si aucun artiste ne se réclame de l’hyperpop, des créateurs novateurs comme Sophie ou Dorian Electra ont participé à l’émergence de nombreux musiciens.

La regrettée Sophie, décédée en 2021, qui a écrit et remixé des chansons pour Madonna ou Rihanna, a marqué au fer rouge le monde de la musique. Son album Oil of Every Pearl’s Un-Insides (2018) où elle distille une pop avant-gardiste, suave comme agressive, est résolument inclassable. Obsédée par la musique électronique, elle aspire à concevoir un son qu’elle qualifie « offensif », transgressant les mélodies pop classiques dans un morceau comme « Faceshopping ». Dans un entretien à Tracks, elle résume ainsi ses aspirations : « J’essaie d’imaginer un monde sonore hyperréaliste qu’on entend dans les blockbusters et de créer des versions distordues, exagérées, de phénomènes naturels. »

Sophie partage avec Dorian Electra une identité queer, inspirante pour la communauté LGBTQI+. L’artiste américain au look très travaillé – costume victorien, tenues BDSM, maquillage outrancier et moustache dessinée – se définit comme non-binaire. Il déboulonne la masculinité toxique dans ses albums Flamboyant (2019) et My Agenda (2020) aux textes militants. Ce décloisonnement autour du genre est prégnant dans l’hyperpop et injecte une dose de créativité supplémentaire dans le mouvement.

Enfin l’hyperpop fait autant la part belle aux artistes se mettant en scène dans un décor enfantin et girly comme Liz, Hannah Diamond, Oh! Dulceari x Leston, que des musiciens qui explorent l’extension du cloud rap emo des années 2010. Ces derniers proposent une vision du monde plus sombre, où l’amour côtoie la violence, la drogue la solitude et l’ennui… Avec toujours autant d’autotune et de couleurs flashy. Inspirés par Lil Peep ou Machine Gun Kelly, ces néo-rappeurs se nomment MIDWXST, 645AR ou glaive. Parlera-t-on jour d’un « hyper » rap ?

Pour planer dans la sphère hyperpop, découvrez notre playlist ici.

Le label révolutionnaire 4AD fête ses 40 ans

Le mythique label 4AD fête ses quarante ans ! Découvrez la folle aventure d’un passionné qui a révolutionné l’histoire de la musique indépendante.

À la fin des années 70 à Londres, les jeunes Ivo Watts Russel et Peter Kent, fervents amateurs de rock, passent leurs journées chez Beggars Banquet, LE label indépendant qui signe les grands noms du punk, et possède son propre disquaire en dessous des locaux. Ils finissent par connaître si bien le catalogue que la maison de disques les embauche à la boutique avant de les faire travailler au sein du label. Chargés d’écouter les démos, ils font preuve de tant d’enthousiasme à l’égard de certains groupes que Beggars Banquet leur suggère de monter leur propre maison de disques, en leur apportant une aide financière. C’est ainsi qu’Axis Records voit le jour en 1979.

Bauhaus est le premier groupe à être signé chez 4AD

Emballés par le rock sombre de Bauhaus, précurseur d’un mouvement gothique qui connnaîtra un franc succès dans les charts britanniques et en Europe, Ivo et Peter signent leur premier groupe en novembre 1980 avec un album devenu culte : In The Flat Field. Au même moment, Axis doit changer de nom car il est déjà emprunté par une autre maison de disques et nos deux fondateurs s’inspireront d’un de leur flyer où est inscrit « 1980 Forward », abrégé en 4AD. Ivo souhaite explorer les sonorités creusées par le rock gothique et la new-wave, or Peter désire signer des groupes moins arty et quitte l’écurie en 1981 pour fonder son label Situation Two. Ivo se retrouve seul aux commandes de la maison mais, se laissant guider par son instinct musical aguerri, il signe au début des années 80 un nombre important de groupes, devenant tous aussi cultes les uns que les autres : les irrévérencieux Nick Cave et Lydia Lunch ou encore les mystiques Dead Can Dance.

« Peppermint Pigs » des Cocteau Twins, 1983.

En 1981, Ivo reçoit une démo qui va changer sa vie et façonnera l’identité sonore du label deux décennies durant : Cocteau Twins. Le guitariste Robin Guthrie se rend chez Beggars Banquet dans l’espoir de rencontrer Ivo en personne, ce qui n’arrive pas. La cassette qu’il laisse tombera pourtant entre les mains du démiurge de 4AD quelques temps plus tard. Intrigué, il convoque le groupe et lorsqu’il entend la voix soprano hors-norme d’Elizabeth, c’est la révélation. Le groupe prolixe sort des albums tous les ans durant les années 80, et développe une signature unique, traduisant l’émotion la plus viscérale qui soit – en raison d’une langue inventée par les paroles chimériques de Frazer et une ambiance organique, introspective au possible – jamais égalée par ses pairs. Cocteau Twins sont les enfants chéris du label mais aussi ses enfants terribles. Malgré le statut prestigieux que leur accorde Ivo, ils se plaindront auprès du label des pochettes réalisées par Vaughan Oliver, et de ne pas être mis plus en avant pour passer à la radio.

Gordon Sharp dédicace ses textes sybillins à Liz Frazer, qui le lui rend bien.

En 1983, Ivo fait la connaissance du graphiste Vaughan Oliver lors d’un concert et l’invite à collaborer avec le label pour réaliser l’artwork de ses pochettes, œuvres d’arts à part entière que s’arrachent les aficionados. 4AD, ce n’est pas seulement une aventure sonique hors du commun, c’est une signature esthétique reconnaissable entre toutes chez un disquaire. Avec le partenariat du vidéaste Nigel Grierson et du designer-calligraphe Chris Bigg, Vaughan Oliver fonde 23 Envelope (ou v23 ), réputé pour cultiver une imagerie adaptée au son d’un groupe, ce qui donne lieu à un art synesthésique, onirique.

La dimension esthétique de 4AD est telle que le label réalise des calendriers.
Magazine consacré à 4AD

Pour célébrer l’anniversaire de 4AD, on ne peut faire l’impasse sur le rôle considérable du producteur John Fryer au sein du label qui a su créer le son dont Ivo rêvait. Il orchestre le son de nombreux artistes tels que Clan Of Xymox ou Xmal Deutschland, mais il est surtout reconnu pour être aux manettes du « supergroupe » initié par Ivo : This Mortal Coil. En 1983, il désire réaliser un medley de deux chansons de Modern English « Sixteen Days » et « Gathering Dust » mais le groupe refuse. Ivo soumettra alors l’idée à plusieurs artistes du label (Cocteau Twins, Colourbox entre autres) d’enregistrer des reprises de ces titres et de morceaux des années 60 et 70 comme « Song To The Siren » de Tim Buckley qui fera un tabac. This Mortal Coil existera le temps de trois albums et contribue à l’émergence de la « dream pop », genre qui fait la part belle aux voix et nappes d’instruments atmosphériques, laissant émerger, dans son sillage, les balbutiements du shoegaze… L’influence du collectif sera telle qu’elle inspirera le label américain Projekt Records à signer une majorité de groupes éthérés.

« It’ll End In Tears » de This Mortal Coil

Au début des années 80, Peter Murphy de Bauhaus donne une cassette avec de mystérieuses voix des pays de l’Est à Ivo qui tombe sous le charme de leur chant : Le Mystère des Voix Bulgares que l’ethnomusicologue Marcel Cellier avait signé sur son label en 1975. Ivo est fasciné par leur mélopée utilisant des quarts de tons considérés comme faux qui insufflent une dimension singulière au chant dont la scène folk – Kate Bush en tête – va s’imprégner. Désireux d’explorer des sonorités peu considérées en Occident, 4AD s’empare de l’exotisme avant-gardiste qu’incarne Le Mystère des Voix Bulgares et ressort le disque en 1986. Le collectif connait un succès retentissant au Etats-Unis comme en Europe de l’Ouest. Il ne fait aucun doute que la mystérieuse chorale est l’une des influences de Lisa Gerrard – qui enregistrera un album avec elle et il est probable que les Cocteau Twins s’en soient inspirés.

« Sunburst And Snowblind » de Cocteau Twins ou l’art d’illustrer des sonorités éthérées

En 1987, le label manque d’argent et cherche désespérément une manne financière qui l’aidera à renflouer ses caisses. Ivo réussit un coup d’éclat qui va remédier à la situation, grâce à la collaboration de deux groupes qu’à priori tout oppose : la musique électronique de Colourbox et le rock alternatif et noise d’A R Kane. De ce duo naît MARRS qui envahira les charts avec le single Pump Up The Volume, précurseur de la musique house et premier hit contenant des samples à entrer dans les tops britanniques. L’enregistrement de ce titre aura été des plus houleux car des dissensions règnent entre les deux groupes sur le plan artistique. Ils refusent de venir en studio en même temps, préférant œuvrer chacun de leur côté, mais au terme de cette aventure les attend un tube qui va enflammer les discothèques aux quatre coins du globe. Le label survient à ses besoins et Pump Up The Volume est le seul titre de house que 4AD ait jamais enregistré, Ivo préférant continuer de déployer les univers musicaux fidèles à ses obsessions.

« Pump Up The Volume » s’est hissé en tête des charts anglais pendant des semaines
Colourbox

Si, dans les années 80, c’est Londres qui domine l’industrie musicale, elle perd son hégémonie au début des années 90 au profit des Etats-Unis. Ivo ouvre alors un bureau de 4AD à Los Angeles. Il déniche des pointures américaines majeures telles que His Name Is Alive et sa dream pop expérimentale ou encore la folk de Red House Painters qui emplit les stades grâce à la figure iconique de Mark Kozelek. Grâce à ces groupes, 4AD entretient la filiation avec les sonorités éthérées qui font sa marque de fabrique auprès des auditeurs du label mais pressentant l’avènement du grunge, il s’aventure vers des sonorités plus dures. Ivo découvre et signe Throwing Muses, The Pixies ou encore The Breeders qui font une entrée fracassante dans les années 90 avec un rock brut, dont le mot d’ordre est la fièvre. Face à l’effervescence de guitares saturées, il créé un sous-label dédiée au rock underground intitulé Guernica qui produira quelques groupes mais ne perdurera pas.

Spooky de Lush. En pleine époque shoegaze, les artworks de v23 se distinguent grâce à leur singulière finesse.

En 1990, les Cocteau Twins signent leur dernier album chez 4AD Heaven Or Las Vegas avant de se séparer de l’écurie. Ivo a évolué en même temps que ses artistes fétiches et leur perte conservera probablement pour lui un goût amer. Cette séparation n’est peut-être pas sans lien avec son départ du label quelques années plus tard. Bien que les Cocteau avaient préfiguré le shoegaze avec « Musette and Drums », en s’exilant aux Etats-Unis, Ivo n’a pas su se saisir de la vague émergeant au Royaume-Uni, composée de My Bloody Valentine, Ride ou Slowdive signés chez Creation Records. Il prend sous son aile Swallow et Heidi Berry –son groupe Felt était signé chez Creation, et les membres de My Bloody Valentine viennent chez 4AD pour fonder Mojave 3, créant ainsi une porosité entre les deux labels mais cela ne suffira pas à orner le label de son blason des débuts. Au milieu des années 90, le monde de la musique évolue grâce aux possibilités technologiques offertes par le logiciel ProTools, la musique électronique supplante peu à peu l’industrie et Ivo, n’ayant jamais juré que par ses goûts, jette l’éponge.

His Name Is Alive,
« Home Is In Your Head » de His Name Is Alive, 1991.

Il revend 4AD à Beggars Banquets en 1999, parvenant difficilement à dénicher des artistes dignes de le faire vibrer, et écœuré par une scène musicale à l’intérieur de laquelle il ne se reconnaît plus, il abandonne l’aventure et part vivre dans le désert du Nouveau-Mexique. Le départ de la figure légendaire d’Ivo opèrera un tournant pour le label qui, à l’aube du vingt-et-unième siècle, ne pourra égaler la révolution musicale accomplie dans les 80’s et les 90’s.

Néanmoins, 4AD existe toujours aujourd’hui et produit des musiciens éclectiques, comme Bon Iver, Daughter, ou encore Holly Herndon qui compose avec une intelligence artificielle. En quarante ans d’existence, l’écurie a toujours su rester audacieuse en respectant sa gageure en matière d’excellence. Elle reste, aujourd’hui encore, un modèle pour de nombreux labels indépendants. C’est pourquoi dans les prochaines semaines seront publiées des chroniques des artistes emblématiques de 4AD.

Vidéos réalisées pour la compilation « Lonely Is An Eyesore » en 1987

https://4ad.com/

Le kaléidoscope de BBC 6 Radio Music

Aujourd’hui, Les Musicophages vous emmènent à la découverte de la BBC 6 Radio Music, une antenne de la BBC valorisant les groupes signés par des labels indépendants, tous genres confondus.

La station de radio lancée en 2002 par la BBC est accessible sur les médias numériques et représente une mine pour tous les amoureux de musique alternative. L’atout de BBC 6 Radio Music, c’est qu’elle ne se circonscrit pas dans un style particulier, mais étend au contraire le champ des possibles à tous les courants musicaux : rock classique et indie, punk, jazz, funk, hip-hop, electro ou encore trip-hop. Ses programmations diffèrent de celles qui sont diffusées sur BBC Radio 1 et BBC Radio 2 et embrassent la période des années 60 à nos jours. Ce panorama combine des enregistrements anciens issus des archives de la BBC aux sorties du moment, dès lors que les groupes s’émancipent de la spirale mainstream qui englobe la majorité des radios, et leur préfère des labels indépendants tels que 4AD ou Bella Union.

L’autre particularité de la BBC 6 Radio Music, c’est de proposer des émissions thématiques avec un angle original pour satisfaire les passionnés. En ce moment, c’est la santé mentale qui est à l’honneur à la radio avec un cycle intitulé « Music to calm the mind ». La station a demandé à quelques-uns de ses artistes fétiches tels que John Grant ou Jungle quelle musique a le pouvoir d’apaiser nos esprits. Des réponses très variées fusent et recommandent Chopin ou Brian Eno. Et vous, quels sont les artistes qui calment votre anxiété ?

D’autre part, les animateurs de BBC 6 sont considérés comme des experts dans leur domaine musical de prédilection et c’est pourquoi vous pouvez écouter une émission hebdomadaire animée par Iggy Pop intitulée « Iggy Confidential » qui fait la part belle aux trésors cachés du rock. La radio est active sur les réseaux sociaux, en particulier sur Facebook et YouTube où elle diffuse des entretiens en vidéo et des live. Délectez-vous des derniers morceaux grâce à la playlist qui, cette semaine, vous fait découvrir les albums de The National, Foals ou encore Courtney Barnett.

Smell like Schoos spirit

Benjamin Schoos, prononcez « skoz » est l’héritier de Christophe, un romantique quittant cette fois la parole pour mettre en avant sa musique.  Le dandy crooner compose pour beaucoup d’autres que je ne citerai pas et dirige le label Freaksville record  découvrant de fabuleux artistes que je cite volontiers : Clémentine March avec son ep:

Les étoiles à ma porte by Clémentine March

Le très prolifique Benjamin Schoos nous offre son 15 ème album studio mais cette fois, c’est une compilation de ses plus belles pépites instrumentales avec des inédits dedans. Ces 15 trésors sonores ont été composés entre 2011 et 2018 et sont très savamment compilés sur le bien nommé « Quand la nuit tombe sur l’orchestre ».

L’orchestre ici, c’est lui et ses claviers seventies, la nuit elle, tombe et l’inspiration monte, la parole s’éteint (enfin…) et les thèmes s’illuminent pour nous investir émotionnellement.

Le compositeur belge est un véritable artiste touche à tout, qui a façonné un parcours aux multiples facettes tout en sachant renouveler la chanson francophone. Comme par exemple dès 2014 en duo avec notre chère Laetitia Sadier, la chanteuse de feu Stereolab:

Malheureusement, il n’y a pas encore de liens pour son prochain disque afin d’illustrer cette chronique. C’est donc un disque muet à l’image de l’article et du bonhomme : une espèce de carte postale vintage sans rien de désuet où se croisent Jean-Jacques Perrey, François de Roubaix et Sébastien Tellier.

Le disque sortira évidemment sur son label Freaksville Music le 12 octobre 2018, car autrefois c’est maintenant et hier c’est demain.

François LLORENS

Alberto Montero revêt sa plus belle pop de chambre

Le troubadour espagnol s’affranchit du song-writing traditionnel avec un album de la maturité on ne peut plus harmonieux et au parti pris orchestral accessible à tous.

Les groupes indie espagnols traversent difficilement les Pyrénées.  Étant allé personnellement plusieurs fois à deux des grandes messes espagnoles que sont le FIB et le Low Festival , je ne suis jamais tombé de l’armoire avec la « pop » de la péninsule. Mise à part le concert de dingue de ZA! (des potes à Alberto d’ailleurs) en septembre 17 au détonnant festival Baignade Interdite  à Rivière dans le Tarn, je ne suis resté accroché qu’aux disques des cadors des nineties : Los planetas et Migala.

Après avoir fait ses gammes en groupe, Alberto Montero part s’installer à Barcelone et commence une carrière solo en marge de la production très popy espagnole. Dès 2008 il sort un premier disque où il joue à peu prés tous les instruments en chantant en anglais sur des compositions folk-rock. Pour son deuxième disque en 2011, Claroscuro, il chante cette fois dans la langue de Cervantes et ses compositions prennent une tournure plus romantiques.

Pour la petite histoire, c’est grâce à la programmation de l’improbable lieu le garage secret dans le quartier des Minimes toulousain, que j’ai pu découvrir l’année dernière Alberto Montero en première partie de Eloise Decazes & Eric Chenaux. Le Piers Faccini ibérique joua en solo avec sa guitare classique et interpréta des chansons mélancoliques sans être dramatiques. Sa prestation me laissa scotché et imperméable au duo qui suivi. Je lui ai acheté son disque Arco mediterraneo (2015) qui devint par la suite mon disque de chevet. A la première écoute, je m’aperçus qu’il  manquait deux titres exceptionnels qui étaient restés gravés dans ma mémoire depuis le concert : Hoy ayer et En el Camino  issu de Puerto Principe (2013) que j’ai pu retrouver heureusement sur son bandcamp.

Les deux titres ici unplugged plus quelques autres :

Les deux précédents LP sont selon moi et avec un enthousiasme pas très feint, proches de la quintessence du genre classical-folk. Les compositions sont habillées avec grâce par un quatuor à cordes, le timbre de voix angélique d’Alberto et sa technique de chant pro-lyrique auréole son œuvre de bout en bout. Ce sont deux  disques aux mélodies radicalement chantantes que nous attendions tous de Brian Wilson et Alberto Montero nous les a offert.

Depuis 2016 et jusque l’enregistrement en été 2017, le compositeur et tous les musiciens qui l’entourent pour son dernier projet ont empilé pierre après pierre afin de construire cette cathédrale.  Alberto continue d’expérimenter avec beaucoup de cohérence l’harmonie et le contrepoint. Son processus de création nous amène aujourd’hui, à l’écoute de La catedral sumergida, un disque plus intime  qui invite à  nous recueillir. Le valencien, catalan d’adoption,  s’éloigne de manière surprenante du song-writing pour se rapprocher d’une pop de chambre. Sa cathédrale nous submerge par des thèmes de piano à la Debussy, d’introductions au violoncelle oniriques et donne ainsi la part belles aux cordes et donc moins qu’à la guitare/chant comme auparavant.

Ce nouveau disque est peut-être le moins calibré pop, le plus conceptuel mais les compositions sont toujours aussi subjuguantes. Alberto Montero a, comme quelques-uns, trop de talent pour être célèbre. Son chef d’œuvre est distribué depuis le 6 avril 2018 par BCstore.

François LLORENS

Grand Veymont atteint des sommets

Objet disque (Perio, Mocke, etc.) nous gratte-hifi  une fois de plus d’un EP qui porte bien son nom : Route du vertige.  Sorti le 18 février dernier, ces 4 titres aériens nous sont insufflés par un duo d’explorateurs de splendeurs : Béatrice et Jossselin aka Grand Veymont.

L’ascension de Grand Veymont, le plus haut sommet du Vercors (sic) ne dure que 45 minutes (le disque) mais cela suffit pour vite rentrer dans une transe synthétique. L’écoute s’apparente à une randonnée à travers les grands espaces pop , un saut avec ou sans élastique dans le Vert-Kraut, prendre de la hauteur enfin, sur des cimes analogiques. Au sommet, je déchausse le casque et continu d’être pris d’une extase cotonneuse jusque tard.

L’indiscutable héritage de Broadcast et de Stereolab est omniprésent pour les vétérans mais la référence passée, Route du Vertige  se trouve être unique et d’une très grande élégance. Entre le chant et la narration en français, Béatrice nous livre ses psaumes de façon habitée ce qui installe tout du long une atmosphère onirique, propice à la contemplation.

Grand Veymont

Les claviers vintages maîtrisés et une belle production confère à ce disque somptueux une aura qui saura dépasser je l’espère l’entre soi des diggers.

François LLORENS

Beat K enchante les désenchantés

Cela fait déjà deux ans depuis leur single Home que  Beat K se fait attendre, l’album  sort chez les italiens de Riff Records le 23 février 2018.

Ce duo d’anonymes, Paul et Ringo 😉 nous ont donc mis l’eau à la bouche avec leur drumming ethnic, leurs claviers colorés et leur voix douce fluidifiant le tout. Ils sortent enfin de manière éponyme Beat K un disque élégant,  sans colères et tout en retenue, un travail d’arrangements pointus et de samples calibrés.

Les tambours ethniques de Baden Baden s’adressent d’abord au corps puis à l’âme avec ses nappes rappelant un des thèmes de Twin Peaks. Cha CHa Cha sonne les cloches d’une réminiscence electropop 90′. A new spring, deuxième bijou du LP, installe une atmosphère envoûtante, sorte de transe synthétique nous plongeant dans une mélancolie contemporaine. Yellow, avatar de Yellow Submarine, clin d’œil aux petits gars de Liverpool est résolument moderne. Salt Lake City, pop song cotonneuse apaise toutes pulsions. Teen, avec cette fois une invitée chantant sur une ballade mœlleuse entre le conte de fée et la mythologie dionysiaque. Bianca clôt (nos yeux) parfaitement l’album, un titre très confortable de piano solo teinté d’ambiant.

Le premier LP de Beat K permet de finir l’hiver, à écouter sous la couette ou dans les transports. Home nous plonge dans de l’électronica unplugged qui évoque à merveille le spleen urbain de notre époque.

François LLORENS

Attention SFYM est Superorgasmique !!

Superorgnaism Domino

Mais qui sont-ils ?

C’est déjà une bande de potes, un bigband de hipsters de différents horizons. Ils sont sept à vivre en collocation à l’est de Londres et le huitième en Nouvelle Angleterre (USA). Ce dernier reçoit les démos via Facebook et les mixe sur Garageband. SFYM s’est donc totalement construit en ligne !

Il n’empêche qu’ils ont signé chez Domino et qu’ils seront aux Transmusicales de Rennes le 6 décembre.

Pas besoin de superorganes pour que SFYM devienne addictif…

(Pour les fans de Moldy Peaches, Toro y moi et MIA)