Qui est Amy Winehouse avant la gloire ?

« Ces photos peuvent changer la perception que les gens ont d’Amy »

En une poignée de tubes, Amy Winehouse devient la coqueluche de la soul et inspire les artistes les plus influents (Lady Gaga, Jean-Paul Gaultier). Sa voix de contralto hors du commun, ses chansons mélancoliques aux textes teintés d’ironie lucide séduisent des générations d’auditeurs. Pourtant, l’histoire n’a souvent retenu que sa fin tragique survenue le 23 juillet 2011, alors qu’elle n’a que vingt-sept ans.

Le photographe en herbe Charles Moriarty, tout juste expatrié d’Irlande, rencontre la chanteuse à Londres en 2003 alors qu’elle a dix-neuf ans. Partageant les mêmes goûts pour la vie nocturne, l’esthétique vintage et le pop art, ils deviennent amis. Il tire le portrait d’Amy pour illustrer la pochette de son premier album Frank, dont on célèbre les vingt ans cette année. Ce cliché fait partie d’une collection d’instantanés pris entre Londres et New York où se révèle une Amy Winehouse enjouée et solaire, qui a déjà tout d’une icône. Exposées pour la première fois, ces photographies sont dévoilées au Magma à Finhan jusqu’au 1er octobre. Entretien nostalgie avec Charles Moriarty, qui brosse le portrait d’une artiste à l’aube de la consécration.

Charles Moriarty

Lors de votre première rencontre, que penses-tu d’Amy ?

Je ne sais rien d’elle. Je n’ai jamais entendu sa musique. Elle vient dans mon appartement de Spitalfields, dans l’est de Londres. Elle s’assied à la table de ma cuisine et nous parlons. Nous partageons nos points communs, des parents divorcés. À mes yeux, c’était juste une fille normale de dix-neuf ans. Elle ne se comportait pas du tout comme quelqu’un qui aurait voulu devenir une pop-star. Elle était elle-même : très amusante. Elle aimait rire. Nous sommes entrés en connexion très rapidement.

Qu’attendait-elle de ces séances photos ?

Elle voulait que les photos reflètent sa personnalité, qui elle était en tant que personne. Pas la mise en scène orchestrée d’un tableau de studio. Je n’étais pas encore un photographe accompli et ne savais pas comment j’allais m’y prendre. Nous sommes descendus dans la rue et je me demandais : « va-t-elle te laisser la voir ? » Je devais prendre une certaine distance pour qu’elle se sente en confiance et soit elle-même. Une fois que c’est arrivé, c’était vraiment facile. Elle savait que je n’étais pas engagé par quelqu’un pour faire ces photos, c’était elle qui avait le contrôle.

Que s’est-il passé après le shooting à Londres ?

J’ai développé et donné les photos à Amy. Deux semaines plus tard, son manager Nick Shymanski m’appelle et me dit qu’ils aimeraient en utiliser une pour la pochette de Frank. J’étais heureux et très surpris. Je n’attendais rien de ce shooting. Ça n’était pas un job, seulement une faveur accordée à un ami qui voulait que je prenne des photos. Elles n’étaient même pas censées être utilisées ! C’était pour donner un exemple de ce qu’Amy voulait pour son album, mais je ne pensais pas que ça serait un de mes portraits qui l’illustrerait.

Pochette de l’album Frank.

Vous avez ensuite pris d’autres photos à New-York.

C’est Nick Shymanski qui nous l’a demandé. Nous voulions réaliser le shooting à Camden mais à cause de nos emplois du temps respectifs, nous n’avons pas pu. Nous étions tous les deux à New-York pour vingt-quatre heures. Tout semblait mal programmé mais on s’est tellement amusés que le résultat s’en ressent sur les photos, pourtant à l’époque je les détestais ! Je n’avais pas encore l’œil d’un photographe aguerri. Je ne percevais pas ce qu’il y avait en elles et je ne les ai pas regardées pendant plus de dix ans.

Quand as-tu commencé à les apprécier ?

Trois ou quatre ans après la mort d’Amy. J’ai appris à voir ce qu’elles recelaient de positif, que ces photos peuvent changer la perception qu’ont les gens d’elle. Je veux qu’ils voient la fille que j’ai vue, la personne que j’aimais, très différente de celle que les tabloïds dépeignaient. J’ai toujours essayé de nuancer son histoire pour que les gens comprennent qu’il y a une personne réelle derrière. L’Amy que l’on voit sur les photos est une fille de dix-neuf ans très intelligente, une musicienne de talent. La capacité de sa musique à exprimer des choses stupéfiantes, son habileté à écrire et interpréter des chansons en live avec une telle émotion, peu de gens seraient capable d’en faire autant. Et c’était original ! Elle emploie un langage habile, un vocabulaire inattendu. Je pense que sa musique marquera les esprits longtemps, parce qu’elle est unique.

Avec son goût pour la musique des années 50 et 60, elle s’inscrivait à contre-courant des genres musicaux en vogue au début des années 2000.

Oui, Amy détestait beaucoup d’artistes. Elle n’aimait pas Dido. Il y avait un format préfabriqué pour les artistes féminines qui jouaient en solo à ce moment-là et représentaient une tendance pour les labels, avec Joss Stone, Katie Melua. Amy ne voulait pas y prendre part. Elle a essayé de déterminer ses propres règles.

Amy à New York, pastiche de la Venus de Titien.

Sur un cliché new-yorkais, elle est allongée sur un sofa comme la Vénus de Titien.

C’est un pastiche. Ce que j’adore dans cette photo, c’est qu’elle porte une jupe crayon avec des motifs reproduits d’un tableau de Roy Lichtenstein. Les couleurs de ses vêtements répondent aux coloris du portrait : son haut jaune est identique au jaune de Lichteinstein, les tons verts de sa jupe aux coussins du sofa et à la peinture affichée derrière elle. Tu te retrouves avec cette scène où tout est miraculeusement assorti. Amy adorait le pop-art, elle comprenait ces références. C’était une grande fan de l’histoire américaine du vingtième siècle, surtout des années 50 et 60. Ensemble, on regardait des films avec Paul Newman. Elle adorait Sex and the city où elle piochait des inspirations pour son style, étant une grande fan de la styliste de la série, Patricia Field.

On perçoit cette attention dans le portrait intimiste où Amy se maquille devant son miroir.

Oui, elle nous raconte quelque chose. J’ai essayé de créer une narration autour de cette fille qui se met du rouge à lèvres et s’apprête à sortir. Soudain, elle relève ses cheveux en choucroute, ce qu’elle ne faisait pas encore à cette époque. Cette photo entraîne de la confusion chez ceux qui la regardent. Ils tombent dans le piège et croient qu’elle date de Back to Black, mais Amy n’a que dix-neuf ans. En creux, il y a l’idée de ce à quoi elle veut ressembler. Elle était jeune et n’avait pas encore assez confiance en elle pour affirmer pleinement son look. C’est l’une des premières fois où elle s’est lancée et cela fonctionnait très bien avec cette double image où elle se regarde dans le miroir et où nous, spectateurs, la découvrons à notre tour.

Première photo d’Amy coiffée avec sa choucroute. Exemplaire conservé à la National Portrait Gallery de Londres et au Magma à Finhan.

Quel est le meilleur souvenir à conserver d’Amy ?

Le cadeau qu’elle nous a laissé : sa musique. Lorsqu’elle chantait elle était elle-même, partageait quelque chose de très intime. Les paparazzis la traquaient en quête d’histoires débridées, mais elle livrait les éléments vraiment importants dans ses chansons. Une des choses les plus tristes, c’est que nous n’ayons pas pu la voir évoluer après ce second album et aller de l’avant. Je suis sûr qu’elle avait de nombreux titres à offrir mais elle n’a jamais eu l’espace suffisant pour s’y consacrer.

Tu lui rends hommage en avec le livre Back to Amy (2018) et l’exposition « Amy, avant Franck » au Magma.

C’est une présentation des photographies prises entre Londres et New York. Le livre est rempli d’anecdotes personnelles racontées par ceux qui la connaissaient vraiment bien. Je pense qu’il apporte des perspectives différentes sur Amy. Mon souhait c’était de projeter l’histoire de quelqu’un de magnifique, d’extraordinaire, en se focalisant sur son talent, l’incroyable personnalité qu’elle avait.

Exposition « Amy, avant Frank », à découvrir au Magma jusqu’au 1er octobre. Plus d’infos ici.

Splendeurs et excès de l’hyperpop

Qu’est-ce qui rapproche Sophie, Dorian Electra ou 100 Gecs ? Ces artistes partagent une obsession immodérée pour les nouvelles technologies et la pop, dont ils s’ingénient à distordre les codes pour façonner une nouvelle esthétique, « l’hyperpop ».

L’hyperpop est un mouvement, une tendance musicale qui s’est développée avec une jeune génération d’artistes biberonnée à Internet. S’emparant des codes de la pop mainstream, elle les distord jusqu’à sculpter une esthétique excessive qui façonne une « hyper » pop. Elle ne fait pas référence à un genre musical précis, mais embrasse au contraire une diversité de sonorités issues de tout ce que l’industrie a produit au cours de ces trente dernières années.

Cette génération de musiciens s’illustre par son refus d’exploiter les arcanes d’un seul genre, préférant jongler entre toutes les références libres d’accès sur la toile : des vagues électroniques successives (eurodance, dubstep, electroclash, witch house) au courant emo souvent moqué (le crunkcore, pop-punk, screamo) de nouveau en vogue depuis l’avènement du cloudrap, né sur Soundcloud au début des années 2010, plus éthéré et lo-fi que le rap mainstream. En célébrant ces styles musicaux dévalués, l’hyperpop se joue des critiques qui essaieraient d’établir un quelconque bon goût, et exhume de l’ombre une multitude d’effets sonores qui exhaussent la pop d’une aura criarde, foncièrement chaotique.

Aux origines, le label PC Music

Pour remonter jusqu’aux racines de l’hyperpop, il faut retourner en 2013 à Londres, lors de la création du label PC Music, fondé par le producteur et musicien AG Cook. Passionné par la technologie et les nouvelles tendances musicales des années 2010, il met à dessein le numérique pour engendrer une pop hybride et expérimentale, empreinte d’un travail nourri de réflexions autour du sound design.

PC Music est imprégné de cyberculture, des voix féminines très décalées qu’il module dans ses chansons à l’esthétique visuelle 2.0, entre Comic Sans MS et mise en scène de soi sur les réseaux sociaux. AG Cook partage avec l’artiste protéiforme et emblématique de l’hyperpop Sophie l’ambition d’explorer le son d’une matière inédite à travers le prisme numérique. En 2015, ils créent ensemble le projet QT, qui dévoile une chanteuse fictive à la voix ultra-pitchée vantant les mérites d’une boisson énergisante imaginaire dans le clip « Hey QT ». Les frontières entre virtuel et réalité sont brouillées mais très rapidement, la fenêtre virtuelle défrichée par l’hyperpop se donne à voir comme une réalité augmentée, ouvrant la voie à tous les possibles.

La première compilation du label sortie la même année, PC Music Vol.1 est toute imbibée de cette atmosphère informatique dont se jouent cette nouvelle vague d’artistes comme Hannah Diamond. En 2017, la chanteuse de pop à succès Charlie XCX sélectionne AG Cook pour diriger la création de son projet artistique. Un véritable fer de lance pour le label qui donne un nouveau tournant à la carrière de la chanteuse, qui prend un virage électronique plus marqué et multiplie les références aux années 90. De plus en plus d’artistes pop mainstream sont conquis par cette veine futuriste, l’hyperpop prend de l’ampleur.

Une playlist Spotify propulse le mouvement

Malgré ces nombreuses avancées, c’est en 2019 que l’hyperpop finit par déferler dans les oreilles du grand public. La raison ? Une playlist Spotify, sobrement nommée « HYPERPOP », prête à s’emparer de tous les curieux. Dans une interview au New York Times, Lizzy Scabo, éditrice pour la plateforme, explique avoir eu l’idée de créer cette playlist après avoir vu apparaître le mot « hyperpop » dans les métadonnées des titres écoutés sur le site de streaming depuis 2014. C’est la première fois qu’une playlist définit et érige un mouvement musical au pinacle, les listes de lecture étant habituellement créées suite au succès d’un genre. Ce phénomène témoigne de l’influence des plateformes de streaming sur les auditeurs, leur manière d’écouter et concevoir la musique – Spotify cumulant à lui seul plus de 400 millions d’utilisateurs actifs.

L’explosion 100 Gecs

Néanmoins, le succès de la playlist fait écho à celui du groupe 100 Gecs (duo américain créé en 2015) qui connaît une audience virale en 2019 avec ses opus 1000 Gecs et 1000 Gecs and the Tree Of Clues, disque de remixes avec des artistes hyperpop tels qu’AG Cook, Charlie XCX ou Dorian Electra. 1000 Gecs, c’est un cocktail détonnant d’à peine 23 minutes qui mixe allègrement dubstep, trap, rock emo, crunckcore… Tous ces courants qui ont habité le duo pendant leur adolescence mais sont peu reconnus, souvent raillés, irriguent leurs chansons jusqu’à la saturation. Mêler les références est tellement évident pour eux qu’une seule chanson englobe plusieurs genres, comme « Stupid Horse », morceau de deux minutes qui donne l’impression d’un medley sous acides.

Une composition frénétique comme celle-là, fréquente dans l’hyperpop, est le reflet d’une génération de musiciens surconnectée qui superpose pêle-mêle les sonorités comme autant de liens ouverts dans la fenêtre d’un navigateur. Il y a tant d’informations que les hiérarchiser devient obsolète, et c’est un peu ce qu’exprime le duo avec ce disque. Pete Wentz, le bassiste du groupe de pop-punk Fall Out Boy, qui a collaboré avec 100 Gecs pour la chanson « Hand Crushed by a Mallet » compare le groupe à Nirvana, Lady Gaga ou Skrillex et loue leur audace sonore dans une interview à Pitchfork : « ils ont créé un espace qui n’existait pas pour cette musique. » 100 Gecs, qui a commencé sa carrière en donnant des concerts virtuels sur le jeu en ligne Minecraft (comme beaucoup d’autres artisans de l’hyperpop) va fouler le sol de réelles salles de concerts lors de sa tournée de 2022 aux États-Unis et en Europe.

Réinventer la pop avec Internet

L’hyperpop se distingue par la manière dont les artistes intègrent le web à leur production. Comme un instrument de musique ou le leader d’un groupe, il est omniprésent dans chacun des morceaux. Internet est une extension de la pop, il la sublime et la déforme, jusqu’à lui donner un visage inédit. Ces nouveaux artistes ont ingéré toute la musique disponible gratuitement en ligne. Cette consommation gargantuesque infuse leurs compositions jusqu’à l’excès induit par les glitchs (effets sonores défaillants) qui miment un bug informatique avec des répétitions de mots incessantes. Entre chant, rap et cris, les voix sont tellement auto-tunées que les paroles sont parfois inaudibles et engendrent une texture hybride, où la machine s’est fondue dans l’humain.

Instagram et Reddit ont été des compagnons d’adolescence et ne comptent pas les quitter de sitôt à l’âge adulte, comme un atteste l’esthétique acidulée de leurs clips japonisants, ponctués de références aux jeux vidéos et aux mèmes. La mise en scène de soi exacerbée par les réseaux sociaux n’est jamais très loin, comme en atteste « Influenceur », tube du duo Ascendant Vierge, devenu un véritable phénomène à l’été 2020. Entre techno gabber et chant lyrique, ils questionnent l’abus de selfies dont se gargarise la génération Z tout en incitant son public à se défouler sur des morceaux taillés pour les rave-parties.

Outre les paroles, les chansons puisent dans le sound design numérique, comme la présence récurrente de sonneries de téléphone ou bruits de notification, des sonorités incrustées dans le quotidien auxquelles il est difficile de se soustraire. Le tempo est ultra-rapide, rivé à l’accélération d’une époque pressée où l’économie de l’attention fait défaut. Le format de l’hyperpop répond à ces tares avec des morceaux très courts d’une ou deux minutes, plus succincts encore que le format radio. Le public cible de l’hyperpop est branché sur les réseaux, notamment TikTok qui joue un rôle majeur dans la diffusion du mouvement. Les séquences accrocheuses des titres attirent l’auditeur et sont utilisées en tant que support par les créateurs numériques. Le courant gagne en visibilité et répond également aux besoins de l’alt-TikTok, une communauté avide de nouveautés où le bizarre règne et à ce jeu, l’hyperpop tape à l’œil excelle.

Les artisans de l’hyperpop

Si aucun artiste ne se réclame de l’hyperpop, des créateurs novateurs comme Sophie ou Dorian Electra ont participé à l’émergence de nombreux musiciens.

La regrettée Sophie, décédée en 2021, qui a écrit et remixé des chansons pour Madonna ou Rihanna, a marqué au fer rouge le monde de la musique. Son album Oil of Every Pearl’s Un-Insides (2018) où elle distille une pop avant-gardiste, suave comme agressive, est résolument inclassable. Obsédée par la musique électronique, elle aspire à concevoir un son qu’elle qualifie « offensif », transgressant les mélodies pop classiques dans un morceau comme « Faceshopping ». Dans un entretien à Tracks, elle résume ainsi ses aspirations : « J’essaie d’imaginer un monde sonore hyperréaliste qu’on entend dans les blockbusters et de créer des versions distordues, exagérées, de phénomènes naturels. »

Sophie partage avec Dorian Electra une identité queer, inspirante pour la communauté LGBTQI+. L’artiste américain au look très travaillé – costume victorien, tenues BDSM, maquillage outrancier et moustache dessinée – se définit comme non-binaire. Il déboulonne la masculinité toxique dans ses albums Flamboyant (2019) et My Agenda (2020) aux textes militants. Ce décloisonnement autour du genre est prégnant dans l’hyperpop et injecte une dose de créativité supplémentaire dans le mouvement.

Enfin l’hyperpop fait autant la part belle aux artistes se mettant en scène dans un décor enfantin et girly comme Liz, Hannah Diamond, Oh! Dulceari x Leston, que des musiciens qui explorent l’extension du cloud rap emo des années 2010. Ces derniers proposent une vision du monde plus sombre, où l’amour côtoie la violence, la drogue la solitude et l’ennui… Avec toujours autant d’autotune et de couleurs flashy. Inspirés par Lil Peep ou Machine Gun Kelly, ces néo-rappeurs se nomment MIDWXST, 645AR ou glaive. Parlera-t-on jour d’un « hyper » rap ?

Pour planer dans la sphère hyperpop, découvrez notre playlist ici.

À l’Est, il y a du nouveau (une introduction à la scène musicale tchèque)

Episode 2 : Amelie Siba

Je suivais les aventures musicales d’Amelie Siba depuis quelques mois déjà quand j’ai eu l’occasion de la rencontrer. Arrivée à Prague le rendez-vous est pris, un mercredi après-midi…et à vrai dire je ne sais pas trop à quoi m’attendre. Le projet est très jeune (tout comme la personne qui le porte d’ailleurs, le jour et l’heure de la rencontre ne sont pas anodins..) mais malgré cela, en moins de deux ans, l’artiste a réussi à sortir déjà pas mal de morceaux et surtout un album, paru il y a quelques mois. Bref, cette histoire a l’air intéressante et je suis curieuse d’en apprendre plus sur cette musicienne en herbe.

Je retrouve donc Amelie dans un café du quartier de Letná et, rapidement, nous commençons à parler de ses influences. La jeune femme explique que ces dernières varient beaucoup mais gardent tout de même une base constituée de bedroom-pop et de musiques telles que celles de Slowdive et Mazzy Star. D’ailleurs la chanteuse de ce dernier groupe, Hope Sandoval, « est vraiment impressionnante, c’est quelqu’un qui m’inspire beaucoup » déclare Amelie Siba.

Bon, les influences, c’est fait et si la réponse est plutôt classe elle est loin d’être inattendue pour toute personne ayant un minimum écouté les morceaux d’Amelie Siba. Non, ce qui m’intrigue le plus avec cette musicienne c’est de voir à quel point elle a déjà créé et sorti autant de morceaux et autres opus en deux ans à peine. Lorsque je lui expose ma pensée, la chanteuse me répond humblement qu’elle a simplement rencontré des personnes – quand ces dernières n’étaient pas déjà à ses côtés avant le début de cette aventure – qui lui ont permis de développer son projet…m’est avis que cette artiste a surtout su, avec une certaine maturité, s’entourer des bonnes personnes, ce qui paraît bien prometteur pour la suite.

Dye My Hair – Amelie Siba

Cependant, Amelie n’en reste pas moins une adolescente et, malgré tout, cela se ressent dans les paroles de ses chansons. En effet, la plupart de ses morceaux, même si cela évolue au fil du temps, tournent essentiellement autour du sujet de l’amour. La chanteuse sourit quand je lui demande les raisons de cet intérêt particulier : « Pour être honnête, je me suis également posé la question et à un moment j’ai même essayé, en quelque sorte, de modifier cela mais je n’ai pas vraiment réussi…je crois que c’est un sujet qui travaille beaucoup les gens de mon âge (elle a 17 ans, ndlr) donc, au final, ça ne me dérange plus pour le moment. »

Lorsque je lui demande quels groupes et salles de Prague aller voir, la jeune femme hésite et finit par parler d’endroits tels que la Meet Factory, le Vagon Music Pub & Club et Underdogs ainsi que les groupes Dukla, Branko’s Bridge et Purplefox Town.

En parallèle de sa vie de lycéenne, Amelie Siba a sorti son premier album Dye my hair (voir vidéo ci-dessus) en mai dernier, un opus en dix morceaux où l’alliance guitare-voix nous emmène dans l’univers sensible et doux de la jeune Tchèque.

A suivre donc.. !

Retrouvez Amelie Siba sur Facebook et Instagram !

Photo ©Katerina Guić

Les collaborations iconiques de PJ Harvey

Égérie rock des années 90, la chanteuse et multi-instrumentiste anglaise réussit le pari de se renouveler à chaque nouvel opus. Son influence capitale sur les Musiques Actuelles se ressent dans les œuvres de nombreux musiciens contemporains. Pour explorer les mille facettes de cette artiste-caméléon, voici les moments forts de sa carrière, décryptés à travers le prisme de ses collaborations.

John Parish, le compagnon du Somerset

PJ Harvey et son musicien fétiche : John Parish

Polly Jean et John Parish ont plus d’un point commun. Ils grandissent tous deux dans la ville de Yeovil, dans le Somerset, au Sud-Ouest de l’Angleterre. Dans les années 70, Parish gagne sa vie en donnant des cours de guitare. Un beau jour, il décide de créer un atelier de musique moderne à l’école des Beaux-Arts de Yeovil, où la future chanteuse étudie la sculpture. Afin de mettre en théorie sa pratique, il fonde le groupe de rock Automatic Dlamani où, encore adolescente, PJ Harvey fait ses gammes à la guitare. Celle qui ne savait plaquer qu’une poignée d’accords avant de rencontrer Parish aguerrit sa pratique, jusqu’à dépasser son maitre lorsqu’elle s’envole de ses propres ailes pour enregistrer son premier album Dry, en 1992. Respecté pour son travail exigeant, Parish est le collaborateur idéal pour l’Anglaise, soucieuse de se renouveler à chaque nouvelle production. Il a pour habitude de réaliser ses compositions expérimentales en solitaire, dont Polly Jean s’inspire pour écrire ses paroles. Présent en tant que producteur et musicien sur la majorité de ses disques, Parish enregistre deux albums en duo avec PJ Harvey : Dance Hall at Louse Point en 1996 et A Woman a Man Walked By en 2009.

Björk, rebelle en puissance

S’il y a une autre icône qui est aussi habile et inventive que PJ Harvey, c’est bien Björk. En 1994, les deux chanteuses aux voix d’or sont invitées à la cérémonie des Brits Awards, et leur prestation ne laisse pas la salle indemne…. Elles font fureur auprès du public grâce à une reprise endiablée de « Satisfaction » des Rolling Stones. Le succès est tel qu’un enregistrement du single est prévu, mais Allen Klein, l’ancien manager des Rolling Stones, s’y oppose farouchement. C’est lors de cet événement que le grand public découvre réellement PJ Harvey.

Nick Cave, l’amant terrible

En 1996, Nick Cave and The Bad Seeds enregistrent Murder Ballade, un recueil de ballades sur le thème du meurtre. Inspirées par des chansons populaires des pays anglo-saxons, elles livrent avec force détails le récit de crimes passionnels. Le chanteur australien invite PJ Harvey en duo sur « Henry Lee », titre inspiré du chant traditionnel « Young Hunting », qui raconte l’histoire d’une femme assassinant son amant parce qu’il n’est pas amoureux d’elle. Les deux artistes vivent une idylle passionnelle lors de l’enregistrement du disque, mais elle bat rapidement de l’aile. Profondément blessé par leur séparation, Nick Cave dédie l’album The Boatman’s Call à sa relation avec la chanteuse.

Le trip lancinant de Tricky

Alors qu’il s’attèle à la composition de son album Angels With Dirty Faces, le musicien anglais contacte PJ Harvey, signée chez le label Island Records comme lui. Il lui envoie une démo de « Broken Homes », morceau sombre et planant qu’il a écrit tout spécialement pour qu’elle l’interprète. Elle retravaille sa voix afin de se fondre dans l’atmosphère désabusée du disque.

Errance citadine avec Tom Yorke

Au tournant du nouveau siècle, PJ Harvey délaisse le rock rugueux des débuts, et signe un renouveau pop qui séduit plus d’auditeurs. Sorti en 2000, Stories From The City, Stories From The Sea, est parsemé de références à la ville, entre grâce et tourments. Fan de Radiohead et de la voix de Tom Yorke, PJ Harvey l’invite à chanter en duo sur le titre envoûtant « This Mess We’re In », où la Grosse Pomme est symbole de désir et de désordre. Polly Jean frappe fort, avec des ventes estimées à un million d’exemplaires pour cet opus qui signe son plus gros succès commercial. Disque de platine avec 300 000 disques vendus au Royaume-Uni, disque d’or en France écoulé à 100 000 exemplaires… Il n’en faut pas plus à la chanteuse pour être la première femme à rafler un Mercury Prize, récompense annuelle qui consacre le meilleur album anglais de l’année.

Pascal Comelade, frenchy fan

En 2016, le chanteur et pianiste français réédite L’Argot du bruit, initialement paru en 1998. Il décide de remanier l’album en réenregistrant plusieurs de ses titres. Fan de la voix de PJ Harvey, il l’invite à chanter en duo sur le titre inédit « Featherhead ». L’Anglaise collabore également à l’écriture des titres « Love Too Soon » et « Green Eyes », sur lesquels elle pose sa voix.

Des robots et des mélodies : les visions de Kraftwerk

La musique électronique a perdu l’un de ses plus précieux visionnaire. Florian Schneider, membre du duo fondateur de Kraftwerk, s’est éteint début mai 2020. Le groupe allemand a anticipé l’impact de la technologie dans la création musicale et son essor dans la musique populaire. Décryptage d’une identité sonore majeure.

Florian Schneider

Florian Schneider rencontre Ralf Hütter en 1968 à Düsseldorf, ville ouest allemande dont ils sont originaires. Tous deux issus d’une classe sociale aisée, ils évoluent dans le cercle intellectuel des beaux-arts et étudient la musique. Ils créent Kraftwerk deux ans plus tard, dont le nom signifie « centrale électrique » et correspond à leur idéal artistique : composer une musique comme le ferait une machine, reproduisant les sons des grandes villes auxquels ils sont familiers. Ils tiennent à chanter dans leur langue maternelle pour renforcer l’identité allemande de leurs compositions réalisées dans leur studio privé : le Kling Klang Studio.

Kraftwerk au Kling Klang Studio

Pour ce faire, Ralf écrit la majorité des textes, et Florian supervise les clips vidéos, le design des pochettes d’album et la confection des automates auxquels il est particulièrement attaché. Ils créent souvent les appareils à partir desquels ils travaillent. Si leurs trois premiers albums enregistrés au début des années 70 connaissent un succès confidentiel, leurs futurs disques influencent considérablement les Musiques Actuelles, tous genres confondus. Kraftwerk fusionne la musique électronique à la musique populaire, et nous avons sélectionné trois titres essentiels illustrant cette friction parfaite.

« Autobahn » : sur la route du succès

Le 1er novembre 1974, Kraftwerk sort Autobahn, leur quatrième album, qui marque un tournant dans la carrière du groupe. Enregistré dans leur studio Kling Klang à Düsseldorf, sous la houlette du mythique producteur Conny Plank (Can, D.A.F), ce disque est leur premier « album-concept », champ qu’ils ne cesseront d’explorer à chaque nouvel enregistrement. Véritable ode à la conduite automobile, Autobahn propulse son auditeur au coeur d’une autoroute vibrante, à l’intérieur d’un véhicule dont il peut ressentir les mécanismes, comme l’explique Ralf dans une interview au Monde en 2002 : « cet album était autant déterminé par le concept original de l’autoroute qu’inspiré sur le vif par le son des pneus sur l’asphalte, celui de l’autoradio, ou le mouvement perpétuel des roues. »

Le morceau-titre « Autobahn », d’une durée de 22 minutes, occupe toute la face A du 33 tour originel. Florian Schneider se sert d’un synthétiseur ARP Odyssey pour recréer le son des voitures qui démarrent, dont les portières claquent, que l’on entend dès le début de la chanson. Il joue également de la flûte, de la guitare et du violon, pendant que Ralf est aux claviers. L’ensemble produit une boucle défilant tout au long du morceau, comme pour mimer le trajet répétitif mais hypnotique du véhicule avançant sur les voies. Le roulis automobile, crissant, est reconstitué par une rythmique motorik (« activité du moteur » en allemand): néologisme créé par des critiques musicaux pour décrire le rythme lancinant de la conduite, cher aux groupes de krautrock. Il s’agit également du premier titre à contenir des paroles et du chant, notamment avec l’utilisation du vocoder qui génère un effet robotique, et que Kraftwerk utilise massivement dans ses créations. Schneider créé même son propre système de synthèse vocale, « Robovox », fonctionnant en temps réel.

« Autobahn » est aussi édité en version single de trois minutes pour le public américain, et devient un tube planétaire, alors que l’avant-garde musicale familière de Kraftwerk jusqu’alors ne séduisait qu’un public restreint. Le refrain pop et terriblement accrocheur rappelle le chant entraînant des Beach Boys. Le succès ne se fait pas attendre : un million d’exemplaires du single s’écoule outre-Atlantique en 1975, contre 500 000 exemplaires de l’abum. « Autobahn » est le morceau qui fait office de transition dans la discographie de Kraftwerk, créant une symbiose entre la pop et une avant-garde mélodique.

« Trans-Europe Express » : prophétie électronique

Florian et Ralf cultivent un intérêt pour les lieux d’interconnexions, et plus particulièrement les gares. La légende voudrait qu’un de leurs amis, le journaliste Paul Alessandrini, leur suggère d’écrire un morceau sur les Trans-Europe Express : de prestigieux trains reliant les capitales européennes entre elles, destinées à une clientèle de classe aisée. Et sur cette proposition, ce n’est pas seulement un morceau que compose Kraftwerk, mais tout un album : Trans-Europe Express, édité en 1977. Après les autoroutes, les allemands tiennent à sillonner les lignes ferroviaires à travers l’Europe.

Le titre « Trans-Europe Express » se déploie sur un rythme lent, aux accents métalliques. Ses longues plages de synthétiseur, les cordes pénétrant le motif principal comme une mélopée sont caractéristiques de l’identité sonore de Kraftwerk. À contretemps des rythmes saccadés du punk déferlant en Europe à cette période, le groupe poursuit son entrelacement entre la pop et une étrange technologie, non dénuée de mélancolie. Les paroles en français, anglais, allemand – à noter que depuis son album Radio-Aktivität en 1975, le groupe édite une version allemande et une version anglaise de ses albums – énumèrent les haltes des voyageurs du train, à l’exception du dernier couplet où il y a une escale pour rencontrer David Bowie. Le chanteur anglais avait invité Kraftwerk à le rejoindre sur scène mais, déclinant toute collaboration, les musiciens de la Ruhr lui consacrent ces quelques lignes. Honoré, Bowie leur dédie en retour la chanson « V-2 Schneider » sur son album Heroes, deuxième volet de la trilogie berlinoise inspirée par le groupe allemand.

David Bowie est loin d’être le seul à être influencé par Kraftwerk. « Trans-Europe Express » pose les jalons de genres très divers : la synth-pop et la new wave avec The Art Of Noise, OMD, Depeche Mode ; la techno de Detroit dont les pionniers Juan Atkins, Derrick May, ou Kevin Sauderson, perçoivent dans ce morceau l’acte fondateur du mouvement électro. Ses percussions funk inspirent la musique afro-américaine ainsi que le hip-hop. En 1982, le DJ et l’un des membres créateurs du hip-hop, Afrika Bambaataa, s’empare de la mélodie de « Trans-Europe Express » en la réenregistrant en studio pour son titre « Planet Rock » qui fait un carton. « Trans-Europe Express » est le morceau le plus samplé des germaniques, et « Planet Rock » devient à son tour l’un des titres de rap les plus samplés. En 2007, le morceau de Kraftwerk devient la musique officielle de l’inauguration de la ligne européenne du TGV-Est : de quoi ravir ses membres férus de trains, et continuer d’influencer les musiciens passagers, transportant avec eux un rythme nomade, une géographie électronique.

« The Robots » : plongée au coeur de la matrice

Le dessein de Kraftwerk est d’engendrer une union parfaite entre l’homme et la machine, et ainsi créer une entité unique. Le groupe met au point son but ultime en 1978, grâce à son album Die Mensch-Machine. Florian développe le concept « d’homme-machine » lors d’une interview avec Lester Bangs pour le magazine américain Creem en 1975 :  » La Menschmachine est notre concept accoustique, et Kraftwerk, c’est la centrale électrique. » Ce disque d’à peine une demi-heure est un concentré d’une efficacité pop redoutable et robotique, teinté de groove. La maîtrise des mélodies est imparable, et la plupart des titres deviennent des incontournables.

C’est le cas de « The Robots », dont les paroles vocodérisées et minimalistes n’en dévoilent pas moins la réflexion qu’entretient le groupe vis-à-vis de la technologie : « We’re functioning automatic/And we are dancing mechanic/We are the robots/ We are programmes just to do/Anything you want us to ». Une phrase en russe « Ya tvoi sluga, ya tvoi rabotnik », qui signifie « je suis votre serviteur, je suis votre employé » joue sur la polysémie du terme robot, qui signifie travailleur. Le robot serait donc au service de l’homme, oeuvrant à ses côtés pour augmenter ses capacités de travail ou de création, au risque de se fondre l’un dans l’autre et de fusionner ? La pochette est un prolongement de cette réflexion car son graphisme rouge et noir, inspiré du constructivisme russe, est lié à la pensée que le futur serait entre les mains de la science, et qu’une société idéale pourrait advenir grâce à la technologie.

Lors des concerts où est joué « The Robots », Kraftwerk a conçu des automates pour accompagner les membres du groupe sur scène. La première apparition de ces robots date de 1981 et ils sont intégrés aux tournées depuis. Ils les remplacent pour les sessions photos, devenant les avatars de Ralf et Florian. Ces derniers émettent le souhait que les robots se substituent à eux pour donner des interviews, mais cette tentative n’aboutit pas. L’album Die Mensch-Machine illustre à la perfection l’identité sonore « robot-pop » à laquelle aspire Kraftwerk, ouvrant la voie à un ère musicale délibérément tournée vers la technologie, sans pour autant abandonner la mélodie : l’expression manifeste des émotions humaines la plus sensible qui soit. L’homme-machine les absorbe, pour les transformer en poèmes technologiques.

Découvrez notre playlist sur l’influence de Kraftwerk sur les Musiques Actuelles :

Renarde – Etre là ce n’est rien

Les Toulousains de Renarde sont de retour avec un nouveau clip illustrant leur morceau Etre là ce n’est rien ! Une vidéo réalisée par Electric Animals et sortie il y a quelques jours…


Tourné à la chapelle YMA de Mézin (47) en juin dernier, le clip nous plonge dans une succession de jeux d’ombres, de flous et lumières, d’images saccadées et hallucinées…

Nous atterrissons dans une fête où se mêlent plaisanteries des convives, disputes tardives et lâchés de confettis. Oui, le moins que l’on puisse dire c’est qu’il y a de l’animation en arrière plan…cependant tout cela ne semble pas attirer le personnage principal qui, lui, a l’air de rester impassible, étranger à tout cela.

C’est en effet ce que racontent les images et les paroles dans ce clip : une situation de décalage entre une personne (en l’occurrence Bruno, le chanteur et principal porteur du projet) et le contexte (l’ambiance, les codes, les gens) qui l’entoure.

Une vidéo en forme de mise en bouche de ce que Renarde a dans les cartons pour les mois à venir…rendez-vous en 2020 pour suivre tout ça !

Retrouvez plus de renseignements sur le groupe en cliquant ici !

Early Spring Horses, « Honey »

video honey

« Honey », le nouveau single d’Early Spring Horses, dévoile une pop aux pulsations soniques qui raconte l’histoire d’un homme confiné, oscillant entre espoir et désolation.

Deux ans après What The Wood Whispers To Itself, le chanteur-pianiste Vincent Stockholm et le harpiste Arthur Wilmotte se sont rendus à Berlin pour enregistrer leur deuxième album Narcosia (à paraître chez Victorialand Records, leur label indépendant), sous la houlette du producteur Enrico Tiberi.

Initialement, « Honey » devait être un morceau intimiste où la voix de Vincent serait accompagnée de quelques notes de harpe et de piano, mais l’atmosphère émanant du studio The Famous Gold Watch a poussé les musiciens à modifier les arrangements avec plus de basses. En effet, le local est abrité dans des sous-sols aux fenêtres murées d’anciens bâtiments de la Stasi, et la sensation de confinement qui y règne est étrangement liée aux paroles de « Honey », écrites par Vincent bien avant qu’il ne se rende en Allemagne…

Arthur Wilmotte

Inspiré par les livres de Claire Keagan, il cisèle ses chansons avec des textes où aucun mot n’est laissé au hasard. Tous ses morceaux racontent une histoire précise qu’il « déréfèrence » au fur et à mesure du processus d’écriture afin que le résultat final laisse libre cours à l’interprétation de chacun. « Honey » s’empare de la souffrance engendrée par l’enfermement avec des paroles poétiques emplies de désolation, illustrées dans le clip avec subtilité. Des formes graphiques, déstructurées – rappelant l’architecture land art de Michael Heizer avec Complex City – se rivent sur des danseurs se mouvant de manière viscérale, repoussés par des murs invisibles. Deux d’entre eux s’enlacent avant de s’évanouir dans le déclin annoncé par Vincent en une « constellation de faux espoirs ». La pulsation des basses atteint son climax à la fin de « Honey » avec un sonar qui nous fait deviner le bruit des pâles d’un bateau, peut être pour symboliser la piscine, la mer où s’enclave un être en détresse, inexorablement voué à la solitude. La pop sonique de « Honey » crée la symbiose entre nos peurs et les profondeurs sous-marines dont s’est inspiré Early Spring Horses pour composer Narcosia.

https://www.earlyspringhorses.com/

Rites et Sacrifices III à La Sainte Dynamo

Pour cette troisième édition, Rites et Sacrifices a invité Lisieux, La Mandorle, Machine est mon cœur et Orbel à La Sainte Dynamo lors d’un concert dédié aux croisements entre passé et présent dans les musiques sombres.

Lisieux

En réunissant des groupes éthérés inspirés par l’underground gothique des années 80, l’association toulousaine proposait de « faire le pont entre musiques anciennes et sonorités actuelles », mais la porosité entre les deux est-elle réelle ? Le samedi 1er juin, j’ai pu assister au concert à La Sainte Dynamo, afin de voir ce qu’il en était.

La Mandorle

Chaque formation se nourrit du passé et le distille par touches dans ses compositions. La chorale médiévale La Mandorle sort de l’ombre des chants ecclésiastiques tels que les kyries grégoriens en les reprenant a capella. Le trio toulousain Lisieux est lui aussi plongé dans un imaginaire liturgique au travers de paroles abordant l’oppression religieuse, le déisme. Sa néofolk aux allures de messe noire puise ses racines chez Death In June et sera signée chez le label organisant leurs concerts français : Steelwork Maschine. La dark-wave de Machine est mon cœur emprunte aux débuts de la musique électronique en réalisant des collages de bandes magnétiques, et a recours à des synthétiseurs analogiques dont la densité brumeuse confère à l’ambient. Si les influences de nos musiciens sont légion, édifient-elles pour autant une passerelle vers l’époque actuelle ?

Machine est mon cœur

Passionné de science-fiction, Machine est mon cœur dépeint dans « I Had a Dream » un monde désertique où l’homme serait débarrassé des affres de l’hyperconsommation. Le duo a conçu Dystopium – album né d’une fusion entre dystopie et opium – pour des rêveurs pressés de s’échapper de la réalité. Les voix shoegaze des chanteuses d’Orbel se fondent dans des arrangements post-rock, cinématographiques et inquiétants, répondant au nom de « doom pop ». Enfin, l’originalité de La Mandorle est d’ouvrir le monde actuel sur des musiques réduites à l’oubli, en leur redonnant vie dans un bar contrastant avec leur religiosité originelle, et entraîne le public dans une communion dépaysante.

Beyond There, premier EP d’Orbel

L’impression qui résulte de cette nuit est que la jonction des sonorités a bien fonctionné, grâce au pouvoir introspectif de cette musique mélancolique. Loin de se circonscrire dans une période datée, elle relève de l’intemporel. Est-ce la naissance d’un nouveau genre ?

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Haleiwa, stratosphère lo-fi

La bande-son du printemps : on écoute le nouveau single d’Haleiwa « HKI-97 » pour se prélasser au soleil.

Derrière Haleiwa se cache Mikko Singh, un musicien suédois qui mène à bien son projet musical en solo. Pendant près de deux ans, il s’est enfermé dans son studio à Stockholm pour enregistrer son troisième album Cloud Formations à paraître en juillet, et produit par le label berlinois Morr Music. Si au début de sa carrière, le multi-instrumentiste est attaché au skate punk et à la musique hardcore, cet opus donne lieu à un nouveau départ car son œuvre s’est laissée bercer par la musique indie, l’influence du krautrock ou encore de la new wave.

En 2015, Mikko Singh se passionne pour les synthétiseurs analogiques et les utilise pour réaliser son album Palm Trees of the Subarctic. C’est à partir de cette expérience qu’il accorde un rôle plus important à la basse dans ses compositions. Haleiwa se réinvente musicalement et c’est lors de ce processus qu’il donnera naissance aux premiers titres de Cloud Formations, sculptés jusqu’à ce que chaque grain, chaque note atteigne le degré de perfection qu’il s’était imposé. Pendant la conception du disque, il accorde plus d’attention que jamais aux subtilités du son et à ses effets sur les émotions grâce à une technique consistant à enregistrer plusieurs instruments avec des microphones de mauvaise qualité lo-fi. La stratification des instruments, brumeux et saturés, offre un rendu qui n’en est que plus intimiste, tout particulièrement sur « Cloud Formations » et « Foggy ».

Munissez-vous d’un casque et plongez dans l’écoute des neuf pistes de Cloud Formations qui vous abreuvera de sa pop stratosphérique menée de main de maître par des synthés lascifs et des riffs solaires.

HKI -97 by Haleiwa

Alberto Montero revêt sa plus belle pop de chambre

Le troubadour espagnol s’affranchit du song-writing traditionnel avec un album de la maturité on ne peut plus harmonieux et au parti pris orchestral accessible à tous.

Les groupes indie espagnols traversent difficilement les Pyrénées.  Étant allé personnellement plusieurs fois à deux des grandes messes espagnoles que sont le FIB et le Low Festival , je ne suis jamais tombé de l’armoire avec la « pop » de la péninsule. Mise à part le concert de dingue de ZA! (des potes à Alberto d’ailleurs) en septembre 17 au détonnant festival Baignade Interdite  à Rivière dans le Tarn, je ne suis resté accroché qu’aux disques des cadors des nineties : Los planetas et Migala.

Après avoir fait ses gammes en groupe, Alberto Montero part s’installer à Barcelone et commence une carrière solo en marge de la production très popy espagnole. Dès 2008 il sort un premier disque où il joue à peu prés tous les instruments en chantant en anglais sur des compositions folk-rock. Pour son deuxième disque en 2011, Claroscuro, il chante cette fois dans la langue de Cervantes et ses compositions prennent une tournure plus romantiques.

Pour la petite histoire, c’est grâce à la programmation de l’improbable lieu le garage secret dans le quartier des Minimes toulousain, que j’ai pu découvrir l’année dernière Alberto Montero en première partie de Eloise Decazes & Eric Chenaux. Le Piers Faccini ibérique joua en solo avec sa guitare classique et interpréta des chansons mélancoliques sans être dramatiques. Sa prestation me laissa scotché et imperméable au duo qui suivi. Je lui ai acheté son disque Arco mediterraneo (2015) qui devint par la suite mon disque de chevet. A la première écoute, je m’aperçus qu’il  manquait deux titres exceptionnels qui étaient restés gravés dans ma mémoire depuis le concert : Hoy ayer et En el Camino  issu de Puerto Principe (2013) que j’ai pu retrouver heureusement sur son bandcamp.

Les deux titres ici unplugged plus quelques autres :

Les deux précédents LP sont selon moi et avec un enthousiasme pas très feint, proches de la quintessence du genre classical-folk. Les compositions sont habillées avec grâce par un quatuor à cordes, le timbre de voix angélique d’Alberto et sa technique de chant pro-lyrique auréole son œuvre de bout en bout. Ce sont deux  disques aux mélodies radicalement chantantes que nous attendions tous de Brian Wilson et Alberto Montero nous les a offert.

Depuis 2016 et jusque l’enregistrement en été 2017, le compositeur et tous les musiciens qui l’entourent pour son dernier projet ont empilé pierre après pierre afin de construire cette cathédrale.  Alberto continue d’expérimenter avec beaucoup de cohérence l’harmonie et le contrepoint. Son processus de création nous amène aujourd’hui, à l’écoute de La catedral sumergida, un disque plus intime  qui invite à  nous recueillir. Le valencien, catalan d’adoption,  s’éloigne de manière surprenante du song-writing pour se rapprocher d’une pop de chambre. Sa cathédrale nous submerge par des thèmes de piano à la Debussy, d’introductions au violoncelle oniriques et donne ainsi la part belles aux cordes et donc moins qu’à la guitare/chant comme auparavant.

Ce nouveau disque est peut-être le moins calibré pop, le plus conceptuel mais les compositions sont toujours aussi subjuguantes. Alberto Montero a, comme quelques-uns, trop de talent pour être célèbre. Son chef d’œuvre est distribué depuis le 6 avril 2018 par BCstore.

François LLORENS