Rétro Toulouse – Les Fils de Joie

Groupe incontournable de la scène post-punk toulousaine des 80’s, Les Fils de Joie font leur comeback en 2023 ! Presque quarante ans après leur séparation, l’album Nous ne dansons plus la nuit remet au goût du jour titres cultes et inédits. Rencontre avec Olivier de Joie, chanteur et guitariste, qui retrace avec un enthousiasme contagieux leur tumultueuse épopée.

La légende dit que Les Fils de Joie se sont formés à l’occasion d’un concert d’Iggy Pop …

En 1978, Iggy joue à la Halle aux grains. Dans la foule, deux gars la coiffure en pétard cherchent un guitariste pour un concert le samedi suivant. Ils m’engagent à condition que je me coupe les cheveux (rires). Je rejoins les Fly Killers, premier groupe punk toulousain, où je rencontre Alain, le batteur des Fils de Joie. À seize ans, il était déjà incroyable, il cognait comme un fou. Nous, on jouait super mal. Après un concert pour la fête du lycée Bellevue, on essaie de monter un vrai groupe l’été, Les Touristes. On part répéter dans une ferme du Gers, on fout un bordel incroyable. On fonde Les Fils de Joie en septembre, avec Chris à la basse. L’explosion punk avait envoyé les codes valser et le plus important n’était pas la virtuosité, mais la créativité.

En tant que groupe débutant, où vous produisiez-vous à Toulouse ?

Par rapport à d’autres villes, on était un peu en retard au niveau des salles. Celle qui était mythique, c’était Le Pied dans le Gers. On y a joué bien plus tard, après la sortie d’Adieu Paris. À Toulouse, on jouait surtout dans les facs. Notre premier live était à l’université Paul Sabatier, puis Sup’ de Co, l’école Vétérinaire, Sup’Aéro… C’est là qu’on a rencontré Pascal Jouxtel, qui a chanté le temps d’un concert et est resté proche du groupe.

Vous recherchiez un autre chanteur ?

Oui, parce que je ne savais pas trop chanter à l’époque. Je commençais à écrire des chansons en copiant Les Ramones, notre idéal de groupe. Il nous fallait un chanteur, mais Pascal préférait écrire les paroles, alors je me suis collé au chant et on a coécrit la majorité des premiers titres ensemble.

Pourquoi chanter en français ?

Parce que c’était la rébellion ultime ! La langue du rock c’est l’anglais. Quand t’es punk, tu fais tout ce qui n’a pas été fait avant, même si certains groupes nous ont précédé – Starshooter, Bijou. En France, on est un peuple de rebelles et de poètes. Chanter en français est exigeant et ça te met la pression quand t’essaies d’écrire. Au début, nos rimes et nos textes étaient loin d’être parfaits…

Les paroles de vos chansons s’illustrent par leur engagement, entre humour noir et second degré.

On essayait de faire passer des messages, mais jamais en disant « la guerre c’est mal, arrêtez ». C’était un peu à la punk, à la Fils de Joie. Tu prends une situation et tu la décris d’une telle manière que les gens comprennent que c’est du second degré et qu’il se passe un truc. Souvent dans les médias, l’information est livrée de manière aseptisée. Nous, on disait les choses sans filtre mais avec humour je pense.

Vous avez co-écrit de nombreuses chansons avec Pascal Jouxtel. Comment se déroulaient les sessions d’écriture à quatre mains ?

J’ai toujours aimé la poésie et Pascal était encore plus littéraire que moi. Il me disait que si on voulait écrire, il fallait être rigoureux avec les rimes. Il apportait un regard différent sur les textes. Si tu prends « Adieu Paris », j’ai trouvé le titre. On voulait une chanson sur l’époque désabusée dans laquelle on vivait. Je commence avec les paroles carte postale « La Tour Eiffel, la tour Montparnasse », et Pascal rebondit avec « la corde ou le gaz ». Ça ne rime pas tout à fait, mais Montparnasse et gaz, ça résonnait tellement bien pour le sens. Tu te rends compte que tu peux te jeter de la Tour Eiffel et de la Tour Montparnasse. Ce qui était génial avec Pascal, c’est qu’on se renvoyait constamment la balle.

« Adieu Paris » concorde avec l’avènement des radios libres qui va être une déflagration.

Absolument ! Imagine que du jour au lendemain tous tes copains du bahut commencent à créer leurs radios. À Toulouse il y avait TSF, FMR, et quatre ou cinq radios rien que dans la rue Saint-Rome. On enregistrait et donnait nos cassettes pour essayer d’être produits. On s’est retrouvés à Polygone pendant trois jours pour faire le 45T autoproduit et les radios libres nous ont adoptés. Les anglais ont eu « No Futur », les américains « I don’t care » mais nous les français on est un peu plus intellos. « Adieu Paris », ça rendait bien.

« Adieu Paris » est également novateur pour son emploi du saxophone, rare dans le punk des années 80.

Christophe Jouxtel, le grand frère de Pascal, était saxophoniste. Il est venu au studio Polygone pendant l’enregistrement. On ne savait pas ce qu’il allait jouer et quand on l’a entendu, on a adoré et gardé sa partie. Quand on jouait une chanson comme « Adieu Paris », un étrange mélange de ska et de cold wave, où la basse est très présente, avec un rythme « shuffle » lent, les gens étaient surpris à l’époque.

En 1984, Vous signez avec Phonogram et un chemin pavé d’embûches s’ouvre à vous.

L’idée de départ, c’était d’enregistrer deux 45T et un album. On fait une série de maquettes dans le studio Phonogram du Boulevard de l’Hôpital, tenu par un gars qui avait beaucoup travaillé avec Brassens. Je ne sais pas ce que sont devenues les bandes. On avait fait dix ou douze morceaux et s’ils s’étaient contentés de sortir l’album, ça nous aurait suffi. Ensuite, il a fallu réenregistrer trois titres pour le maxi 45T. Ça avait beau être nos morceaux, c’est le producteur qui avait le dernier mot sur la façon dont on les arrangeait.

C’est Jello, le guitariste de Starshooter, qui produit « Tonton Macoute ».

Oui. Il rentrait d’Afrique et c’est lui qui a donné cette couleur avec des percussions. Au départ c’est un morceau rock ska. Il parle d’Haïti. On ne le renie pas et le public l’appréciait. On a aussi enregistré une nouvelle version de « Havana Affair » et « Voici le jour », écrit par Daniel et Pascal. Cette session n’était pas dramatique. Avec le recul, je dirais qu’elle nous ressemblait à 80%. Au bout du compte, signer chez Phonogram a cassé notre image d’indépendant. On s’est retrouvés en décalage avec nos fans d’un côté et la maison de disques, qui s’est trompée dans ses attentes. « Tonton Macoute », ça n’est pas grand public.

Vous enregistrez le second 45T et les choses se compliquent.

Quand on a signé, on se voyait déjà comme les Stones, partir en studio le temps qu’il faut pour faire un super album qui nous ressemble. Malheureusement ça n’était pas comme ça. Le producteur décide. Il a donc fallu refaire « Adieu Paris » et « J’appelle par-delà les mers ». Cette fois, c’était Franck Darcel, qui venait de produire Daho, aux manettes. Il avait fait du bon travail avec lui mais je ne crois pas qu’il ait compris qui nous étions. Le bassiste a été remplacé par un requin de studio, le batteur par une boîte à rythme. Ça n’était plus vraiment nous. Six mois plus tard on s’est séparés.

Vous avez aussi enduré de nombreux changements de line-up.

Au début, on était très jeunes, des lycéens. On commence à trois (Alain, Chris et moi), puis Daniel nous rejoint à la basse après son bac. Le soir d’un concert au Grand Parc de Bordeaux, fin 82, Alain prend sa batterie et se casse. Pour le remplacer on recrute Dorian qui vient d’Angoulême, et en tournée Marc au saxophone. Après notre passage chez Phonogram, Chris et Dorian sont partis. Il ne restait plus que Marc et moi.

Olivier de Joie et Marc de Joie en 1986

Après la séparation du groupe, vous continuez à composer ensemble tous les deux.

On est allés à Bretagne, à Landévennec. Pendant trois mois d’hiver on se caillait à écrire des chansons, puis on est retournés à Paris. Il y avait Radio Libération (ndlr : la radio libre du journal), qui possédait d’énormes studios dans le 18e. Un de nos potes les connaissait et ils nous ont laissé y travailler le temps qu’on voulait. On enregistrait des tonnes de titres : « Nous ne dansons plus la nuit », « Le bon dieu n’a pas voulu de moi », « Allongé sur la dune ». On essayait des trucs et c’était une super expérience mais au fond, on ne savait plus trop quoi faire. Garder le nom des Fils de Joie était douloureux pour nous mais on ne voulait pas repartir de zéro. Finalement, on a laissé tomber. Aujourd’hui j’assume complètement cette époque et notre groupe.

Pendant les années 2000, vos morceaux ressortent sur internet et les fans sont toujours au rendez-vous.

Un site internet a même été créé par un fan ! (ndlr : http://filsdejoie.e-monsite.com/)

Tout ça permet de faire table rase des mauvaises histoires. On ne se rappelle que les bons souvenirs. En te replongeant dans le passé, tu redécouvres les morceaux. C’est comme ça que l’idée d’un album surgit. Pendant le confinement on remastérise des chansons. À cet album, on a même rajouté « Ultime Pogo », un morceau écrit en 2018, en hommage à Toulouse, la ville chère à mon cœur et la scène rock de l’époque qui rêvait de conquérir le monde.

C’est le label toulousain Pop Sisters Records qui édite l’album. Pourquoi avoir choisi de collaborer avec eux ?

Parce que Les Fils de Joie, c’est une histoire toulousaine, et le premier critère était de choisir un label local et indépendant. On a bien accroché, c’était un peu écrit. La pochette a été réalisée par le toulousain aussi Jacques Pecate qui a rafraîchi notre logo.

Quelle est l’histoire de la chanson dédiée à Ian Curtis « Nous ne dansons plus la nuit » qui donne son titre au disque ?

Je l’ai écrite pendant mon service militaire. J’avais l’impression de perdre mon temps et j’étais déjà déprimé quand j’ai appris que Ian Curtis s’était pendu. La première version était en anglais, « We’re not dancing anymore », mais il aurait fallu qu’on la traduise en français pour qu’elle devienne une vraie chanson des Fils de Joie. Je l’ai fait quatre ou cinq ans plus tard. C’est un hommage au talent de Ian Curtis malgré sa maladie : « des rimes et des barbituriques / des poèmes épileptiques ».

Des concerts de prévu pour le flamboyant retour des Fils de Joie ?

Oui ! On fera un showcase le vendredi 24 Février à 19h chez Croc Vinyl et une release party en mai à Toulouse, car on veut du soleil. Le 16 septembre on joue à Duran pour le festival Le son de la nuit. D’autres dates suivront.

Pour écouter Nous ne dansons plus la nuit en ligne, c’est par .

Les archives des Fils de Joie (vinyles, cd, flyers, coupures de presse) sont en consultation aux Musicophages sur rendez-vous. Pour retrouvez toute leur actualité, c’est ici.

Toulouse en K7 avec Jérémy BraGxon

Au début des années 80, l’autorisation des radios libres est une déflagration pour les jeunes férus de rock. Jérémy BraGxon est l’un d’entre eux. Il vit à Toulouse, anime des émissions et passe son temps libre à enregistrer sur cassette les groupes locaux qu’il entend en concert ou sur les ondes. Quarante ans plus tard, il met en ligne ses enregistrements et le rock toulousain se dévoile sous un nouveau jour…

Comment est née votre passion pour l’enregistrement des groupes sur cassette ?

En 1979, pour un de mes anniversaires, j’ai eu un radio cassette qui permettait d’enregistrer en direct ce qui était diffusé. À l’époque c’était rare d’avoir un bel appareil de ce genre et c’est comme ça que j’ai démarré mes compilations. Quand apparaissent les radios libres toulousaines, ma fréquence d’enregistrement s’accélère et mes cassettes se remplissent en deux ou trois jours. J’ai une série de 90 cassettes de soixante minutes et 300 cassettes de quatre-vingt-dix minutes avec des albums, des concerts, des démos de groupes que je récupérais.

Les radios libres ont donné une véritable impulsion aux groupes méconnus du public.

Avant les radios libres, il y avait des concerts mais on n’avait pas trop d’informations. Les petits groupes, on ne pouvait pas les entendre. L’arrivée des radios libres a ouvert la voie à des musiciens aux styles musicaux très variés, du hard-rock à la cold-wave, en passant par la musique industrielle la plus pointue. Toulouse, on l’appelait « La Belle Endormie » mais sous les pavés, c’était foisonnant.

C’est dans ce contexte exaltant que vous devenez animateur.

En 1982 j’anime l’émission punk « C’est Mozart qu’on assassine » sur Radio de Lègues, à Frouzins, et c’est à cette occasion que je commence à enregistrer les cassettes démos des groupes qui ont envie d’être diffusés.

Parmi ces groupes locaux, quels étaient les plus décalés, ceux qui vous ont marqué ?

Par le biais des radios locales branchées rock je découvre de nombreux groupes : Dau Al Set, Procédé, Jean Paul Dernier, Major Kyo, Maria Et, Thérèse Racket, Western Electrique, Madame Bovary (de Montauban). J’aime bien également Café Noir, Dougherty, les Queen Bees, Fraise des Bois, Les Incorruptibles, Little Helpers, Classé X (un groupe de scène infernal), Rock Urgence, Señor Sévice, les Taxmen, Vespa Bop et des groupes plus parodiques comme ACDJR et Les Rognons Fous (rires). Chacun vivait dans sa petite chapelle mais quand on s’élève un peu, on voit que le paysage musical toulousain était très riche.

Classé X au Bikini en 1984.

Cette diversité vous pousse à créer « Goodbye Toulouse », une émission de radio consacrée à la ville rose.

J’enregistrais les démos de groupes locaux que je recevais pour faire des compilations. En 1984, je quitte Toulouse pour Amiens. J’y reste cinq ans avant de partir à Besançon, où je propose à la radio associative BIP un projet d’émission : « Goodbye Toulouse ». J’ai fait cinquante émissions avec des groupes de rock locaux mais certaines étaient plus spécialisées sur la vie culturelle toulousaine, les radios, le sport ou encore les expressions locales… J’agrémentais mes émissions sur la musique de commentaires sur la vie toulousaine en général.

Ces émissions sont précieuses pour retracer l’histoire du rock à Toulouse.

Il y a peu de groupes toulousains qui ont connu une gloire nationale, hormis Les Ablettes (rock), Les Fils de Joie (new wave, rock) ou Dau Al Set (punk new wave), car la ville n’a pas eu la renommée de Rouen ou de Rennes… C’est une injustice mais il faut dire que les groupes toulousains n’étaient pas très voyageurs. Le rock toulousain, ça fait sourire les autres villes, pourtant il y avait des groupes de qualité.

C’est ce qui vous a poussé à partager vos enregistrements sur Youtube.

C’est ce qui m’intéresse dans cette démarche : faire (re)découvrir ces groupes toulousains qu’on a trop peu entendus. J’ai ressorti des titres que les groupes n’avaient pas conservé, comme un concert des Fils de Joie à Tours en 1985. Ils n’avaient aucune archive de leurs morceaux en live. Ce n’était pas dans notre optique de garder des traces, on ne pensait pas à la postérité. C’est en partant de Toulouse que j’ai pensé que tous ces groupes ne devaient pas rester au fond d’un carton. Je voulais les ressortir et les diffuser, c’était ça qui m’animait.

Les Fils de Joie.

Ta démarche n’est pas sans lien avec Les Archives du rock Toulousain, initiées par Gill Dougherty.

Je cherchais à qui transmettre ces titres que j’avais numérisés et nous sommes rentrés en contact avec Gill. C’est lui qui m’a conseillé de me lancer sur Youtube et de partager ces cassettes. Pour la page des Archives du rock toulousain, j’ai contacté des groupes qui n’ont pas donné suite. C’est dommage parce que notre seul but est de faire revivre cette période. Certains artistes s’étonnent que l’on ne parle pas d’eux, et on leur répond : « donnez-nous de la matière, de quoi parler de vous! » On trouve beaucoup de choses sur Internet, mais il n’y a pas tout.

Dans les années 80, les enregistrements de groupes en concert étaient plus rares qu’aujourd’hui.

C’est vrai. Il y avait des groupes qui se branchaient sur les tables de mixage pendant les concerts, ou bien les sonorisateurs les enregistraient et les transmettaient aux artistes. Avant de quitter Toulouse en 1984, le dernier concert auquel j’ai assisté était celui des Shérifs. C’était leur premier concert en dehors de Montpellier et un spécialiste du groupe m’a appris qu’il n’avait jamais entendu d’enregistrement antérieur à celui-là. Je n’ai donc pas sauvegardé toutes ces cassettes pendant autant d’années pour rien.

Affiche pour le concert des Shérifs, le 6 décembre 1984.

Les mélomanes d’aujourd’hui sont moins familiers avec le format cassette.

Ah la cassette, toute une époque… Aujourd’hui avec le support MP3 ça nous paraît évident de transporter sa musique avec soi mais avant c’était plus compliqué avec les vinyles et les magnétophones à bandes. Le petit format de la cassette offrait cette liberté, avec la possibilité de créer ses propres compilations qu’on pouvait écouter en voiture.

Le mot de la fin : qu’avez-vous envie de dire aux lecteurs ?

On ne va pas se cacher que nous sommes une génération de sexagénaires et que le temps presse, alors n’hésitez pas à ressortir vos archives ! J’ai aimé écouter ces cassettes et aujourd’hui, mon plaisir est de les faire re-découvrir. Beaucoup de livres ont été édités sur les groupes de rock des différentes villes, mais pas sur la scène toulousaine. Ce ne serait que justice qu’il y en ait un qui voit le jour.

Jeremy BraGxon a confié ses cassettes aux Musicophages, un grand merci à lui !

* Toutes les photos sont extraites des Archives du rock toulousain.

Retrouvez tous les enregistrements de Jeremy BraGxon sur Youtube

« Goodbye Toulouse » sur le rock toulousain

« Au nord du rock » sur les groupes d’Amiens et de Besançon

« Jeremy BraGxon fait du tri dans ses archives » pour écouter ses cassettes de 60 minutes

« Jeremy BraGxon continue le tri dans ses archives » pour découvrir ses cassettes de 90 minutes

– « Jeremy BraGxon termine le tri dans ses archives » : en cours de création.

Les Archives du rock toulousain – L’interview

« J’ai voulu restaurer cette vérité qu’à Toulouse la scène était prolifique. »

Passionné de rock, Gill Dougherty vit à Toulouse dans les années 80 et joue dans les groupes Lipstick, Les Incorruptibles, Hobos. Il plonge au cœur d’une scène locale dynamique mais invisibilisée au fil des années. Pour contrer le temps, il créé Les Archives du rock toulousain, un projet collaboratif retraçant la mémoire rock’n’roll de la ville rose. En octobre 2020, Gill Dougherty partage ses archives avec Les Musicophages et nous confie son envie de collecter de nombreux témoignages liés à l’histoire de ces groupes.

Comment a germé en toi l’idée de créer ces archives, et pourquoi ?

Cette page, je l’ai initiée un peu par accident. J’avais gardé des documents sonores, des photos que je voulais restituer à leurs ayants-droits. J’ai pensé qu’elles avaient peut-être un intérêt pour quelqu’un et j’ai décidé de les mettre en ligne pour les rendre à ceux qui les avaient initiées ou apparaissaient sur les images… J’ai creusé tout ce qu’il y avait entre le 28 mars 1980 – date du premier concert de mon groupe Lipstick – et le 12 avril 1990 qui correspond au concert de mon autre groupe, Hobos, au Printemps de Bourges. Au début, je ne souhaitais parler que de groupes alternatifs, les oubliés, ceux dont personne n’avait jamais parlé.

Tu voulais que ces archives soient un projet collaboratif.

Ce qui est important ce sont ceux qui contribuent à créer ces archives. Rapidement il y a des gens qui ont compris l’intérêt du projet et y ont adhéré : « je partage mes documents, partagez les vôtres ! » L’éthique que j’ai mise en place a été de ne jamais apparaître comme un fan ni faire de promotion, mais essayer d’établir objectivement une espèce d’encyclopédie de ce que je connaissais du rock à Toulouse.

Tu regrettes que certains ne voient dans ces archives qu’un moyen de se vanter de leur collection…

C’était important pour moi de signer « Archives du rock toulousain » et non Gill Dougherty car je ne voulais pas mettre d’ego dans ces archives. Il n’y avait donc que peu de place pour un individu qui aurait voulu se faire valoir, mais c’est devenu compliqué car certains gardaient jalousement leurs documents pour se flatter de les avoir et d’apparaître comme des gens importants.

Les groupes toulousains participent-ils activement à ce projet ?

Quelques personnes ont contribué, mais trop peu. Quand je demande aux groupes de me renseigner brièvement sur leur biographie, ils ont la flemme de chercher dans leurs souvenirs. Il y a probablement dans les tiroirs des tas de choses qui dorment, et qui vont se perdre simplement parce que les gens sont paresseux. Dans le cadre des archives, c’est très important de pouvoir donner des noms aux gens et leur rendre leur identité.

Affiche d’un concert pour Dau Al Set organisé par FMR et la Cinémathèque de Toulouse.

As-tu eu des retours surprenants ?

J’ai eu des exemples émouvants. Une jeune fille m’a écrit suite à la découverte d’une vidéo où apparaissait son père musicien qui est décédé, et elle voulait en obtenir une copie. C’est dans ce cas de figure que les archives prennent tout leur sens.

Tu as récupéré les bandes du studio Deltour qui a enregistré la plupart des groupes toulousains dans d’excellentes conditions.

Je connais Georges Baux, propriétaire et ingénieur du son du studio, parce que son frère Pierre-Marie était mon professeur de français. En 1981, ignorant tout de ce qu’était un studio d’enregistrement, j’ai rencontré Georges et je lui ai fait écouter quelques morceaux que je jouais avec les Incorruptibles, mon groupe de l’époque. Je pense que Georges croyait en moi bien plus que je n’y ai jamais cru moi-même. Lorsqu’il a vendu son studio, j’ai récupéré les bandes pour ne pas qu’elles se perdent. Ce sont des pièces d’histoire : il y a les premiers enregistrements des Ablettes (rock), Classé X (rock new wave), Dau Al Set (new wave, punk) et Pour la gloire de Camera Silens. Tout le monde y allait parce que c’était un excellent studio.

Ces archives sont-elles conservées sous support papier ou bien dématérialisées ?

Il y a peu de documents papiers car parmi ceux que l’on m’a confiés, j’ai tout numérisé. L’intégralité des archives est sur un ordinateur et plusieurs disques de sauvegarde.

Les Archives du rock toulousain sont également friandes d’informations sur la périphérie.

Qui parlerait des groupes du Tarn, du Gers, de l’Aude si je ne les incluais pas dans les archives ? Dans cette périphérie où existaient les groupes, il y avait des lieux de rencontre culturels et musicaux. Tous les groupes importants de l’époque, nationaux ou internationaux, passaient au Pied, une ancienne ferme transformée en discothèque, près de l’Isle-Jourdain dans le Gers. Au départ, on disposait quelques caisses de bières avec des planches dessus pour créer une scène, mais à la fin c’était une véritable salle de concert. Le passage des Cramps en 1984 m’a laissé un souvenir incroyable.

Photo des Cramps au Pied en 1980 prise par Eric Romera et publiée dans son journal musical gratuit « Invitation ».

Ne penses-tu pas que le patrimoine musical toulousain a été ostracisé par rapport à d’autres villes ?

Je me souviens avoir été très agacé après avoir lu dans un blog quelqu’un qualifier la musique d’ici de « pauvre scène toulousaine ». Enfin, elle a été extrêmement riche ! Ça n’est pas parce que les médias nationaux n’en parlent pas qu’elle est inexistante. Toulouse est une grande ville et on a tendance à la stigmatiser comme une ville de province. J’ai voulu restaurer cette vérité qu’à Toulouse la scène était prolifique.

Il y a toujours eu une scène blues importante avec Paul Personne, puis Daniel Antoine qui avait une envergure internationale. Les musiciens toulousains d’aujourd’hui doivent savoir d’où ils viennent et connaître cet héritage. L’enjeu des archives est d’offrir un savoir encyclopédique, et si les gens prenaient conscience de cet aspect-là, je pense qu’ils restitueraient mieux ce qu’ils ont et ce dont ils se souviennent. À l’échelle d’un individu, ces anecdotes et souvenirs n’ont pas tellement d’importance mais liés les uns aux autres, ça devient une toile extrêmement riche. Il y a un véritable intérêt historique à constituer ces archives. Pas simplement sur la décennie 80, mais aussi les années 60, 70 ou 90.

Sur Internet, on peut écouter une compilation avec les morceaux des groupes qui sont dans les archives.

Son intérêt, c’est qu’elle comporte de nombreux titres, avec un morceau de chaque groupe. Tous les genres sont présents : rockabilly, cold-wave, hard-rock… Ces artistes sont différents mais lorsqu’on les écoute les uns à la suite des autres, il y a de la cohérence. Cette cohérence, c’est ce qu’on peut appeler le rock toulousain.

Le mot de la fin : qu’as-tu envie de dire aux lecteurs ?

Qu’ils ouvrent leurs putain de tiroirs et donnent tout en vrac, même si les papiers sont jaunis, effacés, peu importe ! Ils ne savent pas la valeur de ce qu’ils ont…

Toutes les photos sont extraites des Archives du rock toulousain.

Retrouvez les Archives du rock toulousain ici et.