Qui est Amy Winehouse avant la gloire ?

« Ces photos peuvent changer la perception que les gens ont d’Amy »

En une poignée de tubes, Amy Winehouse devient la coqueluche de la soul et inspire les artistes les plus influents (Lady Gaga, Jean-Paul Gaultier). Sa voix de contralto hors du commun, ses chansons mélancoliques aux textes teintés d’ironie lucide séduisent des générations d’auditeurs. Pourtant, l’histoire n’a souvent retenu que sa fin tragique survenue le 23 juillet 2011, alors qu’elle n’a que vingt-sept ans.

Le photographe en herbe Charles Moriarty, tout juste expatrié d’Irlande, rencontre la chanteuse à Londres en 2003 alors qu’elle a dix-neuf ans. Partageant les mêmes goûts pour la vie nocturne, l’esthétique vintage et le pop art, ils deviennent amis. Il tire le portrait d’Amy pour illustrer la pochette de son premier album Frank, dont on célèbre les vingt ans cette année. Ce cliché fait partie d’une collection d’instantanés pris entre Londres et New York où se révèle une Amy Winehouse enjouée et solaire, qui a déjà tout d’une icône. Exposées pour la première fois, ces photographies sont dévoilées au Magma à Finhan jusqu’au 1er octobre. Entretien nostalgie avec Charles Moriarty, qui brosse le portrait d’une artiste à l’aube de la consécration.

Charles Moriarty

Lors de votre première rencontre, que penses-tu d’Amy ?

Je ne sais rien d’elle. Je n’ai jamais entendu sa musique. Elle vient dans mon appartement de Spitalfields, dans l’est de Londres. Elle s’assied à la table de ma cuisine et nous parlons. Nous partageons nos points communs, des parents divorcés. À mes yeux, c’était juste une fille normale de dix-neuf ans. Elle ne se comportait pas du tout comme quelqu’un qui aurait voulu devenir une pop-star. Elle était elle-même : très amusante. Elle aimait rire. Nous sommes entrés en connexion très rapidement.

Qu’attendait-elle de ces séances photos ?

Elle voulait que les photos reflètent sa personnalité, qui elle était en tant que personne. Pas la mise en scène orchestrée d’un tableau de studio. Je n’étais pas encore un photographe accompli et ne savais pas comment j’allais m’y prendre. Nous sommes descendus dans la rue et je me demandais : « va-t-elle te laisser la voir ? » Je devais prendre une certaine distance pour qu’elle se sente en confiance et soit elle-même. Une fois que c’est arrivé, c’était vraiment facile. Elle savait que je n’étais pas engagé par quelqu’un pour faire ces photos, c’était elle qui avait le contrôle.

Que s’est-il passé après le shooting à Londres ?

J’ai développé et donné les photos à Amy. Deux semaines plus tard, son manager Nick Shymanski m’appelle et me dit qu’ils aimeraient en utiliser une pour la pochette de Frank. J’étais heureux et très surpris. Je n’attendais rien de ce shooting. Ça n’était pas un job, seulement une faveur accordée à un ami qui voulait que je prenne des photos. Elles n’étaient même pas censées être utilisées ! C’était pour donner un exemple de ce qu’Amy voulait pour son album, mais je ne pensais pas que ça serait un de mes portraits qui l’illustrerait.

Pochette de l’album Frank.

Vous avez ensuite pris d’autres photos à New-York.

C’est Nick Shymanski qui nous l’a demandé. Nous voulions réaliser le shooting à Camden mais à cause de nos emplois du temps respectifs, nous n’avons pas pu. Nous étions tous les deux à New-York pour vingt-quatre heures. Tout semblait mal programmé mais on s’est tellement amusés que le résultat s’en ressent sur les photos, pourtant à l’époque je les détestais ! Je n’avais pas encore l’œil d’un photographe aguerri. Je ne percevais pas ce qu’il y avait en elles et je ne les ai pas regardées pendant plus de dix ans.

Quand as-tu commencé à les apprécier ?

Trois ou quatre ans après la mort d’Amy. J’ai appris à voir ce qu’elles recelaient de positif, que ces photos peuvent changer la perception qu’ont les gens d’elle. Je veux qu’ils voient la fille que j’ai vue, la personne que j’aimais, très différente de celle que les tabloïds dépeignaient. J’ai toujours essayé de nuancer son histoire pour que les gens comprennent qu’il y a une personne réelle derrière. L’Amy que l’on voit sur les photos est une fille de dix-neuf ans très intelligente, une musicienne de talent. La capacité de sa musique à exprimer des choses stupéfiantes, son habileté à écrire et interpréter des chansons en live avec une telle émotion, peu de gens seraient capable d’en faire autant. Et c’était original ! Elle emploie un langage habile, un vocabulaire inattendu. Je pense que sa musique marquera les esprits longtemps, parce qu’elle est unique.

Avec son goût pour la musique des années 50 et 60, elle s’inscrivait à contre-courant des genres musicaux en vogue au début des années 2000.

Oui, Amy détestait beaucoup d’artistes. Elle n’aimait pas Dido. Il y avait un format préfabriqué pour les artistes féminines qui jouaient en solo à ce moment-là et représentaient une tendance pour les labels, avec Joss Stone, Katie Melua. Amy ne voulait pas y prendre part. Elle a essayé de déterminer ses propres règles.

Amy à New York, pastiche de la Venus de Titien.

Sur un cliché new-yorkais, elle est allongée sur un sofa comme la Vénus de Titien.

C’est un pastiche. Ce que j’adore dans cette photo, c’est qu’elle porte une jupe crayon avec des motifs reproduits d’un tableau de Roy Lichtenstein. Les couleurs de ses vêtements répondent aux coloris du portrait : son haut jaune est identique au jaune de Lichteinstein, les tons verts de sa jupe aux coussins du sofa et à la peinture affichée derrière elle. Tu te retrouves avec cette scène où tout est miraculeusement assorti. Amy adorait le pop-art, elle comprenait ces références. C’était une grande fan de l’histoire américaine du vingtième siècle, surtout des années 50 et 60. Ensemble, on regardait des films avec Paul Newman. Elle adorait Sex and the city où elle piochait des inspirations pour son style, étant une grande fan de la styliste de la série, Patricia Field.

On perçoit cette attention dans le portrait intimiste où Amy se maquille devant son miroir.

Oui, elle nous raconte quelque chose. J’ai essayé de créer une narration autour de cette fille qui se met du rouge à lèvres et s’apprête à sortir. Soudain, elle relève ses cheveux en choucroute, ce qu’elle ne faisait pas encore à cette époque. Cette photo entraîne de la confusion chez ceux qui la regardent. Ils tombent dans le piège et croient qu’elle date de Back to Black, mais Amy n’a que dix-neuf ans. En creux, il y a l’idée de ce à quoi elle veut ressembler. Elle était jeune et n’avait pas encore assez confiance en elle pour affirmer pleinement son look. C’est l’une des premières fois où elle s’est lancée et cela fonctionnait très bien avec cette double image où elle se regarde dans le miroir et où nous, spectateurs, la découvrons à notre tour.

Première photo d’Amy coiffée avec sa choucroute. Exemplaire conservé à la National Portrait Gallery de Londres et au Magma à Finhan.

Quel est le meilleur souvenir à conserver d’Amy ?

Le cadeau qu’elle nous a laissé : sa musique. Lorsqu’elle chantait elle était elle-même, partageait quelque chose de très intime. Les paparazzis la traquaient en quête d’histoires débridées, mais elle livrait les éléments vraiment importants dans ses chansons. Une des choses les plus tristes, c’est que nous n’ayons pas pu la voir évoluer après ce second album et aller de l’avant. Je suis sûr qu’elle avait de nombreux titres à offrir mais elle n’a jamais eu l’espace suffisant pour s’y consacrer.

Tu lui rends hommage en avec le livre Back to Amy (2018) et l’exposition « Amy, avant Franck » au Magma.

C’est une présentation des photographies prises entre Londres et New York. Le livre est rempli d’anecdotes personnelles racontées par ceux qui la connaissaient vraiment bien. Je pense qu’il apporte des perspectives différentes sur Amy. Mon souhait c’était de projeter l’histoire de quelqu’un de magnifique, d’extraordinaire, en se focalisant sur son talent, l’incroyable personnalité qu’elle avait.

Exposition « Amy, avant Frank », à découvrir au Magma jusqu’au 1er octobre. Plus d’infos ici.

Rétro Toulouse – Les Fils de Joie

Groupe incontournable de la scène post-punk toulousaine des 80’s, Les Fils de Joie font leur comeback en 2023 ! Presque quarante ans après leur séparation, l’album Nous ne dansons plus la nuit remet au goût du jour titres cultes et inédits. Rencontre avec Olivier de Joie, chanteur et guitariste, qui retrace avec un enthousiasme contagieux leur tumultueuse épopée.

La légende dit que Les Fils de Joie se sont formés à l’occasion d’un concert d’Iggy Pop …

En 1978, Iggy joue à la Halle aux grains. Dans la foule, deux gars la coiffure en pétard cherchent un guitariste pour un concert le samedi suivant. Ils m’engagent à condition que je me coupe les cheveux (rires). Je rejoins les Fly Killers, premier groupe punk toulousain, où je rencontre Alain, le batteur des Fils de Joie. À seize ans, il était déjà incroyable, il cognait comme un fou. Nous, on jouait super mal. Après un concert pour la fête du lycée Bellevue, on essaie de monter un vrai groupe l’été, Les Touristes. On part répéter dans une ferme du Gers, on fout un bordel incroyable. On fonde Les Fils de Joie en septembre, avec Chris à la basse. L’explosion punk avait envoyé les codes valser et le plus important n’était pas la virtuosité, mais la créativité.

En tant que groupe débutant, où vous produisiez-vous à Toulouse ?

Par rapport à d’autres villes, on était un peu en retard au niveau des salles. Celle qui était mythique, c’était Le Pied dans le Gers. On y a joué bien plus tard, après la sortie d’Adieu Paris. À Toulouse, on jouait surtout dans les facs. Notre premier live était à l’université Paul Sabatier, puis Sup’ de Co, l’école Vétérinaire, Sup’Aéro… C’est là qu’on a rencontré Pascal Jouxtel, qui a chanté le temps d’un concert et est resté proche du groupe.

Vous recherchiez un autre chanteur ?

Oui, parce que je ne savais pas trop chanter à l’époque. Je commençais à écrire des chansons en copiant Les Ramones, notre idéal de groupe. Il nous fallait un chanteur, mais Pascal préférait écrire les paroles, alors je me suis collé au chant et on a coécrit la majorité des premiers titres ensemble.

Pourquoi chanter en français ?

Parce que c’était la rébellion ultime ! La langue du rock c’est l’anglais. Quand t’es punk, tu fais tout ce qui n’a pas été fait avant, même si certains groupes nous ont précédé – Starshooter, Bijou. En France, on est un peuple de rebelles et de poètes. Chanter en français est exigeant et ça te met la pression quand t’essaies d’écrire. Au début, nos rimes et nos textes étaient loin d’être parfaits…

Les paroles de vos chansons s’illustrent par leur engagement, entre humour noir et second degré.

On essayait de faire passer des messages, mais jamais en disant « la guerre c’est mal, arrêtez ». C’était un peu à la punk, à la Fils de Joie. Tu prends une situation et tu la décris d’une telle manière que les gens comprennent que c’est du second degré et qu’il se passe un truc. Souvent dans les médias, l’information est livrée de manière aseptisée. Nous, on disait les choses sans filtre mais avec humour je pense.

Vous avez co-écrit de nombreuses chansons avec Pascal Jouxtel. Comment se déroulaient les sessions d’écriture à quatre mains ?

J’ai toujours aimé la poésie et Pascal était encore plus littéraire que moi. Il me disait que si on voulait écrire, il fallait être rigoureux avec les rimes. Il apportait un regard différent sur les textes. Si tu prends « Adieu Paris », j’ai trouvé le titre. On voulait une chanson sur l’époque désabusée dans laquelle on vivait. Je commence avec les paroles carte postale « La Tour Eiffel, la tour Montparnasse », et Pascal rebondit avec « la corde ou le gaz ». Ça ne rime pas tout à fait, mais Montparnasse et gaz, ça résonnait tellement bien pour le sens. Tu te rends compte que tu peux te jeter de la Tour Eiffel et de la Tour Montparnasse. Ce qui était génial avec Pascal, c’est qu’on se renvoyait constamment la balle.

« Adieu Paris » concorde avec l’avènement des radios libres qui va être une déflagration.

Absolument ! Imagine que du jour au lendemain tous tes copains du bahut commencent à créer leurs radios. À Toulouse il y avait TSF, FMR, et quatre ou cinq radios rien que dans la rue Saint-Rome. On enregistrait et donnait nos cassettes pour essayer d’être produits. On s’est retrouvés à Polygone pendant trois jours pour faire le 45T autoproduit et les radios libres nous ont adoptés. Les anglais ont eu « No Futur », les américains « I don’t care » mais nous les français on est un peu plus intellos. « Adieu Paris », ça rendait bien.

« Adieu Paris » est également novateur pour son emploi du saxophone, rare dans le punk des années 80.

Christophe Jouxtel, le grand frère de Pascal, était saxophoniste. Il est venu au studio Polygone pendant l’enregistrement. On ne savait pas ce qu’il allait jouer et quand on l’a entendu, on a adoré et gardé sa partie. Quand on jouait une chanson comme « Adieu Paris », un étrange mélange de ska et de cold wave, où la basse est très présente, avec un rythme « shuffle » lent, les gens étaient surpris à l’époque.

En 1984, Vous signez avec Phonogram et un chemin pavé d’embûches s’ouvre à vous.

L’idée de départ, c’était d’enregistrer deux 45T et un album. On fait une série de maquettes dans le studio Phonogram du Boulevard de l’Hôpital, tenu par un gars qui avait beaucoup travaillé avec Brassens. Je ne sais pas ce que sont devenues les bandes. On avait fait dix ou douze morceaux et s’ils s’étaient contentés de sortir l’album, ça nous aurait suffi. Ensuite, il a fallu réenregistrer trois titres pour le maxi 45T. Ça avait beau être nos morceaux, c’est le producteur qui avait le dernier mot sur la façon dont on les arrangeait.

C’est Jello, le guitariste de Starshooter, qui produit « Tonton Macoute ».

Oui. Il rentrait d’Afrique et c’est lui qui a donné cette couleur avec des percussions. Au départ c’est un morceau rock ska. Il parle d’Haïti. On ne le renie pas et le public l’appréciait. On a aussi enregistré une nouvelle version de « Havana Affair » et « Voici le jour », écrit par Daniel et Pascal. Cette session n’était pas dramatique. Avec le recul, je dirais qu’elle nous ressemblait à 80%. Au bout du compte, signer chez Phonogram a cassé notre image d’indépendant. On s’est retrouvés en décalage avec nos fans d’un côté et la maison de disques, qui s’est trompée dans ses attentes. « Tonton Macoute », ça n’est pas grand public.

Vous enregistrez le second 45T et les choses se compliquent.

Quand on a signé, on se voyait déjà comme les Stones, partir en studio le temps qu’il faut pour faire un super album qui nous ressemble. Malheureusement ça n’était pas comme ça. Le producteur décide. Il a donc fallu refaire « Adieu Paris » et « J’appelle par-delà les mers ». Cette fois, c’était Franck Darcel, qui venait de produire Daho, aux manettes. Il avait fait du bon travail avec lui mais je ne crois pas qu’il ait compris qui nous étions. Le bassiste a été remplacé par un requin de studio, le batteur par une boîte à rythme. Ça n’était plus vraiment nous. Six mois plus tard on s’est séparés.

Vous avez aussi enduré de nombreux changements de line-up.

Au début, on était très jeunes, des lycéens. On commence à trois (Alain, Chris et moi), puis Daniel nous rejoint à la basse après son bac. Le soir d’un concert au Grand Parc de Bordeaux, fin 82, Alain prend sa batterie et se casse. Pour le remplacer on recrute Dorian qui vient d’Angoulême, et en tournée Marc au saxophone. Après notre passage chez Phonogram, Chris et Dorian sont partis. Il ne restait plus que Marc et moi.

Olivier de Joie et Marc de Joie en 1986

Après la séparation du groupe, vous continuez à composer ensemble tous les deux.

On est allés à Bretagne, à Landévennec. Pendant trois mois d’hiver on se caillait à écrire des chansons, puis on est retournés à Paris. Il y avait Radio Libération (ndlr : la radio libre du journal), qui possédait d’énormes studios dans le 18e. Un de nos potes les connaissait et ils nous ont laissé y travailler le temps qu’on voulait. On enregistrait des tonnes de titres : « Nous ne dansons plus la nuit », « Le bon dieu n’a pas voulu de moi », « Allongé sur la dune ». On essayait des trucs et c’était une super expérience mais au fond, on ne savait plus trop quoi faire. Garder le nom des Fils de Joie était douloureux pour nous mais on ne voulait pas repartir de zéro. Finalement, on a laissé tomber. Aujourd’hui j’assume complètement cette époque et notre groupe.

Pendant les années 2000, vos morceaux ressortent sur internet et les fans sont toujours au rendez-vous.

Un site internet a même été créé par un fan ! (ndlr : http://filsdejoie.e-monsite.com/)

Tout ça permet de faire table rase des mauvaises histoires. On ne se rappelle que les bons souvenirs. En te replongeant dans le passé, tu redécouvres les morceaux. C’est comme ça que l’idée d’un album surgit. Pendant le confinement on remastérise des chansons. À cet album, on a même rajouté « Ultime Pogo », un morceau écrit en 2018, en hommage à Toulouse, la ville chère à mon cœur et la scène rock de l’époque qui rêvait de conquérir le monde.

C’est le label toulousain Pop Sisters Records qui édite l’album. Pourquoi avoir choisi de collaborer avec eux ?

Parce que Les Fils de Joie, c’est une histoire toulousaine, et le premier critère était de choisir un label local et indépendant. On a bien accroché, c’était un peu écrit. La pochette a été réalisée par le toulousain aussi Jacques Pecate qui a rafraîchi notre logo.

Quelle est l’histoire de la chanson dédiée à Ian Curtis « Nous ne dansons plus la nuit » qui donne son titre au disque ?

Je l’ai écrite pendant mon service militaire. J’avais l’impression de perdre mon temps et j’étais déjà déprimé quand j’ai appris que Ian Curtis s’était pendu. La première version était en anglais, « We’re not dancing anymore », mais il aurait fallu qu’on la traduise en français pour qu’elle devienne une vraie chanson des Fils de Joie. Je l’ai fait quatre ou cinq ans plus tard. C’est un hommage au talent de Ian Curtis malgré sa maladie : « des rimes et des barbituriques / des poèmes épileptiques ».

Des concerts de prévu pour le flamboyant retour des Fils de Joie ?

Oui ! On fera un showcase le vendredi 24 Février à 19h chez Croc Vinyl et une release party en mai à Toulouse, car on veut du soleil. Le 16 septembre on joue à Duran pour le festival Le son de la nuit. D’autres dates suivront.

Pour écouter Nous ne dansons plus la nuit en ligne, c’est par .

Les archives des Fils de Joie (vinyles, cd, flyers, coupures de presse) sont en consultation aux Musicophages sur rendez-vous. Pour retrouvez toute leur actualité, c’est ici.

Rétro Toulouse – Les années Condorcet 2/2

Le studio Condorcet, incontournable pour de nombreux artistes de variété française des années 70, est à l’étroit dans son premier local de 50m2. Il s’installe dans un ancien entrepôt de la rue Matabiau où il se lance un défi de taille : offrir aux artistes de la région une renommée nationale. Un pari gagné avec brio puisque les tubes de Francis Cabrel, Gold et Jean-Pierre Mader résonnent encore dans nos oreilles… Suite de la rencontre avec Jean-Michel Porterie, l’un des membres fondateurs du studio, qui nous livre ses souvenirs d’enregistrements.

Photo du studio extraite des archives de Jean-Michel Porterie

En juillet 1976, vous emménagez dans un nouveau studio, rue Matabiau. Avec quels artistes collaborez-vous à ce moment-là ?

On continue d’enregistrer des parisiens. Grâce à Pierre Billon, nous avons l’occasion de faire « Les filles du paradis » pour Johnny Hallyday après son concert à la Halle aux grains. Billon nous dit : « il arrive après minuit, assourdi par le bruit. Vous le faites entrer dans la cabine, vous mettez le son à fond et vous sortez. Le bruit sera terrifiant ». La star qui ne se déplaçait jamais seule arrive entourée de sa cour et d’un dobermann. Je m’exécute et je ferme les portes. C’était tellement fort que les murs du studio se sont mis à vibrer, je n’avais jamais entendu un truc pareil. Ça a fonctionné puisque après le titre est sorti.

Peu de temps après, c’est au tour de France Gall et Michel Berger de vous rendre visite.

En 77, la maison Warner nous appelle pour nous parler de leur titre « Big Fat Mama », sur lequel ils souhaitent avoir une couleur de chœurs façon gospel. Et comme ils avaient entendu qu’on avait ça à Toulouse, plutôt que d’aller courir à Nashville ou à Londres, ils ont débarqué un soir au studio. On a bossé toute la nuit pour enregistrer le titre.

Hugues Aufray est aussi resté longtemps à Toulouse.

C’est un fabuleux souvenir. En 1978, il est venu pendant un mois pour enregistrer son double-album Transatlantic. C’est Georges Augier de Moussac, un des musiciens de son équipe, qui nous l’a ramené. Il est venu avec son arrangeur André Georget et le batteur Joe Hammer, un australien qui avait beaucoup travaillé avec Balavoine. Ça a été un grand moment. Hugues avait fait son petit bureau dans un coin du studio avec sa lampe de chevet, il écrivait ses textes et il y avait toute une atmosphère… Il savaient que le studio était à eux pour un mois alors ils s’installaient vraiment. Ils avaient déballé une dizaine de guitares exposées, ça donnait un côté famille, bon enfant.

C’est à cette occasion que vous montez un petit studio maquette.

Il y avait tellement de place dans notre local, avec un gigantesque trou bétonné dedans, que Pierre Teodori et Georges Augier de Moussac ont eu cette idée. Ça a créé une espèce de pôle musical : Condorcet et en bas, un mini studio avec un petit magnéto 8 pistes, pour réaliser des maquettes. Ça drainait pas mal de musiciens de la région qui venaient travailler.

Comment avez-vous commencé à enregistrer un important nombre d’artistes locaux ?

C’est Cardona qui y a pensé. Pendant les périodes creuses, il voulait essayer de produire des artistes de la région. Il nous a proposé d’enregistrer les Gold. À mes yeux c’était des musiciens très talentueux pour reproduire des chansons déjà existantes avec leur orchestre de bal, mais c’est Jacques qui a eu le flair sur leurs talents de compositeurs.

Vous avez également découvert Francis Cabrel.

Un dimanche de 1977, avec les frères Seff, on le reçoit après son concours à Sud Radio. On fait partie du jury, et au milieu de tous les candidats, nos oreilles se dressent quand il commence à chanter. Il vient au studio – je le revois encore arriver avec ses cheveux longs qui lui donnaient un air de mousquetaire – pour nous faire écouter trois chansons. À ce moment, je comprends qu’il n’y a pas que « Petite Marie ». J’ai gardé précieusement la bande de cette première fois en studio guitare et voix, tout seul devant un micro.

Vous quittez le studio en 1982 et partez travailler au Palais des Congrès. Que s’est-il passé ensuite ?

Le studio continue de tourner, avec François et Jacques qui poursuit la production. En 1984, ils enregistrent un album avec Gold, et au dernier moment le compositeur Jean Garcia apporte un titre qui comble un « vide » sur une des faces : « Un peu plus près des étoiles ». Ça a été le carton qu’on connaît, mais très souvent, les tubes, c’est du pur hasard. C’est très rare que ce soit écrit dans une chanson quand vous l’écoutez. Ça n’arrive quasiment jamais.

Un tube, ça ne se programme pas?

Vous pouvez le penser, mais de là à savoir que ça va être un must et vendre des millions, c’est différent. À Toulouse, ça ne m’est arrivé qu’une fois avec « La maladie d’amour ». Sardou était déjà en haut de l’affiche et quand on écoutait cette rengaine, on ne pensait pas que ça pourrait ne pas marcher, mais c’est exceptionnel.

Le souvenir ultime de la vie de studio ?

Dans ce métier, les instants inoubliables ont lieu la nuit, vers trois heures du matin, quand il n’y a plus de téléphone qui sonne et que vous avez des rythmiques qui tournent magistralement bien. Tout d’un coup, vous vous retrouvez avec des musiciens dans ces atmosphères tamisées, enfumées (à l’époque ça fumait beaucoup), et là vous avez l’impression d’être hors du monde. Vous êtes dans ce bocal, complètement isolé, il pourrait y avoir une bombe atomique peut-être qu’on ne s’en rendrait pas compte…

Malgré toutes les pointures de la chanson qui se sont bousculées pour venir enregistrer à Condorcet, vous peiniez à joindre les deux bouts.

On n’a jamais pu gagner notre vie là-dessus. On était trois à bouffer de la vache enragée, avec des salaires de misère. Au bout de quelques années, on s’est dit qu’il faudrait peut-être en vivre. En plus mes deux associés avaient charge de famille, c’était le début de la fin. Quand j’ai vu le numérique arriver à la fin des années 70, j’ai constaté qu’on n’aurait jamais les moyens de se le payer. Un 32 pistes de l’époque valait le prix d’une maison, tout comme les consoles de mixage de plus en plus gigantesques, automatisées, avec ordinateur. Il fallait prendre des risques énormes.

L’aventure prend fin peu de temps après.

On n’était que co-producteurs mais ce sont ces succès qui nous ont permis de liquider la société et de partir sans aucune dette. En 86, on décide d’arrêter. Jacques avait envie de passer à autre chose. François voulait continuer le studio, mais pas dans ces conditions. Le matériel est racheté par Bernard Laville qui s’installe un studio derrière la gare Matabiau. Il l’appelle « Espace musical Condorcet », et au fil des années, il est renommé « Studio Condorcet ». C’est comme ça que l’histoire s’arrête pour nous début 87.

François Porterie et Jacques Cardona sont ensuite recrutés par Bernard Laville comme salariés dans le nouveau studio. Pierre Teodori s’impose peu à peu comme arrangeur suite au départ de Roger Loubet, parti s’installer à Paris. François Porterie poursuit son parcours jusqu’en 2006 où il fait un AVC. S’il se remet sur le plan physique, il perd l’usage de la parole et ne peut plus s’exprimer. Jacques Cardona décède d’une crise cardiaque en 2008. Après avoir quitté Condorcet en 1982, Jean-Michel Porterie travaille pendant cinq ans au studio du Palais des Congrès, avant de se reconvertir comme réalisateur de publicités pour la télévision et la radio. Il est le seul membre fondateur de l’aventure Condorcet à pouvoir encore apporter son témoignage précieux pour l’histoire de la chanson française.

Pour savoir comment l’odyssée du studio Condorcet a commencé, plongez dans la lecture de notre premier entretien ici.

Rétro Toulouse – Les années Condorcet 1/2

Dans les années 70, le studio Condorcet créé à Toulouse par les cousins Jean-Michel et François Porterie ainsi que leur ami Jacques Cardona est l’un des lieux incontournables où viennent enregistrer les stars de la variété française : Johnny Halliday, Michel Sardou, Mike Brant, Hugues Aufray, France Gall et Michel Berger. Nous avons rencontré Jean-Michel Porterie qui nous a livré la fascinante histoire du studio iconique.

Roger Loubet, Gérard Salesses, Georges Augier de Moussac et Pierre Groscolas en 1971

En 1964, François Porterie joue de la guitare électrique et fonde Le Cœur avec le chanteur Pierre Groscolas, le batteur Guy Perrin et le bassiste Gérard Pottier. Le groupe reprend le répertoire des Beatles dans les clubs en bord de mer, accompagné de Jean-Michel Porterie, passionné de technique, qui prend en charge la sonorisation et l’enregistrement. Ils répètent dans la cave du magasin « Musique & Ondes » (situé rue des Lois à Toulouse), sous le son assourdissant des pots d’échappement brandis par les jeunes gens en colère du printemps 68. Très vite, la bande délaisse les bancs de l’université pour se consacrer à la musique et, après s’être adjoint les services du talenteux clavier Roger Loubet, Le Cœur monte à Paris. Il signe un contrat avec Barclay en octobre et enregistre un album qui ne rencontre pas son public. L’expérience tourne court. Le groupe l’ignore encore, mais cette escapade parisienne lui permet de nouer des liens avec des maisons de disques qui vont s’avérer cruciaux pour l’aventure Condorcet…

Votre idée de départ était de créer un studio mobile. Pourquoi ?

Il y avait des orchestres de bals à foison dans la région toulousaine, c’était une tradition estivale dans les villages environnants. Une multitude de groupes talentueux, dont les Goldfingers (futurs Gold) ou Sentimental Trumpet, ont eu leur heure de gloire. Mon cousin François voulait créer une petite unité mobile dans une 4L ou une estafette, y installer du matériel et courir ces fameuses fêtes pour y enregistrer des orchestres. Ce projet ne nécessitait pas un investissement colossal parce qu’on était loin d’imaginer qu’on pourrait un jour monter un véritable studio.

Comment votre rêve est-il devenu réalité ?

Grâce à deux femmes exceptionnelles : Irène et Simone Porterie, notre grand-mère et notre tante. Le studio n’aurait jamais existé sans elles. Sans qu’on ait demandé quoi que ce soit, elles ont mis leurs économies à notre disposition afin qu’on puisse louer un local, au 36 de la rue Condorcet. La construction a commencé pendant l’été 1970. Nous faisions la chasse au matériel auquel nous ne connaissions rien, via l’achat de revues spécialisées et de petites annonces. C’est Maurice Van Hall, un savant Hollandais qui fournissait les studios parisiens, qui nous a branché sur du matériel professionnel, avec un magnétophone 4 pistes Ampex qui provenait du mythique studio d’Hérouville. Ce n’est pas à Toulouse que nous aurions pu l’acheter…

Pour faire fonctionner le studio à plein régime, vous formez un trio de choc avec votre cousin François Porterie et votre ami Jacques Cardona.

On avait rencontré Jacques au magasin « Musiques & Ondes ». Un super musicien qui chantait divinement bien, avec une formation de juriste pour nous apporter le côté réfléchi. Mon cousin et moi aurions été incapables de gérer une affaire. Tous les deux on assurait la prise de son, et Jacques se chargeait du contact avec les clients, en plus d’être musicien et choriste.

Comment débutent les enregistrements ?

En janvier 1971, on a commencé à enregistrer les locaux : Richard et Daniel Seff, des maquettes avec Pierre Groscolas qu’il est allé présenter à Paris. Nous avons constitué une équipe rythmique avec Paco Rosaleni et Guy Perrin (batteurs), Gérard Salesses (claviériste et arrangeur), Pierre Bénichou (guitariste), ainsi que Georges Augier de Moussac, musicien de Hugues Aufray. On apprenait sur le tas, faut pas se le cacher. On avait beaucoup d’envies mais nous n’étions pas encore des pointures en la matière.

Outre les locaux, des artistes parisiens sont venus à Toulouse dès le début.

Ils sont venus parce qu’ils avaient été recommandés auprès de types que François Porterie avait rencontré à Paris, comme Pierre Billon (fils de la chanteuse Patachou et ami d’Hallyday). Le studio était bon marché, ce qui était adéquat pour les artistes qui n’avaient pas trop d’argent. Ils venaient pour enregistrer des petites maquettes.

C’est comme ça que vous avez enregistré Dick Rivers.

En juillet 71, nous avons reçu un coup de massue lorsqu’on a su qu’il voulait venir un mois pour son premier Dick’n’roll. Il était en perte de vitesse et avait l’envie de faire un album de reprises d’Elvis Presley. Ça s’est très bien passé. À la rentrée, quand il est remonté à Paris pour défendre son album, il s’est mis à parler de nous comme d’un « Nashville toulousain ».

En 72, l’album-concept Mara de René Valère fait le buzz.

François Porterie compose des musiques sur les textes de René, et on se fait la main en travaillant sur les maquettes de cet album. Le projet est vendu à la fin de l’année à la maison Riviera, une filiale de Barclay. On enregistre la version définitive, avec la chance d’avoir un flûtiste du Capitole, Claude Cuguillere, qui met un orchestre de chambre à notre disposition, ce qui permet à Roger Loubet d’exercer ses talents d’arrangeur. On constitue une équipe de cordes et de cuivres, on commence à utiliser des violons. Cela joue en notre faveur car les artistes réalisent qu’il est possible d’enregistrer de la variété à Toulouse. On n’était pas ciblé que rock et je pense que ça a incité des gens comme Sardou à venir chez nous par la suite.

Avec cette évolution, le studio monte en puissance.

Nous avons pris un 8 pistes d’occasion qui venait du studio Davout, et de plus en plus de parisiens sont venus. Des gens totalement « inconnus » à l’époque : Louis Chédid qui venait avec son petit garçon Mathieu « M », Nicolas Peyrac, Gérard Lenormand, Hervé Christiani qui a cartonné avec « Il est libre Max ». Dick Rivers revient pour son deuxième Dick’n’Roll. Petit à petit, la rumeur court à Paris qu’il se passe quelque chose à Toulouse.

Pourquoi tous ces artistes parisiens sont-ils venus à Toulouse ?

C’est moins cher, il ne faut pas se leurrer. L’ambiance est différente. Dans la capitale tout était bien structuré : vous preniez les musiciens pour une séance de trois heures car ils courraient de studio en studio. Sans ordinateurs ni machines électroniques, vous ne pouviez pas déborder. Chez nous, la grande différence c’est que les musiciens étaient totalement disponibles. Le studio n’était loué que pour eux, ils pouvaient jouer tant qu’ils voulaient. Les gens du show-business en profitaient aussi pour s’encanailler un peu à Toulouse (rires). Il y avait une dimension très festive, une joie de vivre phénoménale. La boîte de nuit L’Ubu, qui est restée une référence pendant trente ans, était le rendez-vous de tous les artistes lorsqu’ils venaient chez nous.

L’année 1973 a été un point de bascule avec des artistes de plus en plus connus.

Nous avions investi dans un 16 pistes et sympathisé avec Alain Krief, directeur artistique et grand ami de Mike Brant. Nous avons enregistré son premier titre, « Rien qu’une larme dans tes yeux » et le catalogue de ses amis israéliens (Noam, Shuky & Aviva) qui faisaient des cartons dans la variété. Puis Sardou est arrivé avec La Maladie d’amour et ce tube a fait la réputation du studio! Patrick Juvet est descendu pour l’album Chrysalide. Il avait un problème de procès avec sa maison de disques parisienne et était venu enregistrer en cachette avec son ingénieur du son Andy Scott. Il avait un choriste avec une voix exceptionnelle : Daniel Balavoine, encore inconnu. Ensemble ils mettaient une de ces ambiances, c’était à mourir de rire.

Vous avez également enregistré des jazzmen américains.

À partir de 1972, un type des productions Black & Blue qui organisait des tournées de jazzmen de Chicago est venu faire des enregistrements chez nous. En l’espace de deux jours, ils pliaient trois ou quatre albums… On s’est retrouvés avec Mickey Baker, le premier guitariste bluesman américain à s’intéresser à la pop, à jouer avec Sylvie Vartan en Angleterre. Plus tard, dans le studio de Matabiau, on a même eu l’honneur d’enregistrer Lionel Hampton et Buddy Guy! La référence pour les rockeurs comme Clapton ou les Stones, qui l’ont invité sur scène.

La photo de la pochette de l’album Condorcet Reggae d’Antoine a été prise devant le studio.

Oui ! Il était allé acheter une bombe de peinture et s’était accroupi en djellaba pour taguer « Condorcet Reggae », devant l’entrée pourrie du studio avec les compteurs électriques. Les gens du quartier nous regardaient interloqués. Sur la photo il y a toute l’équipe rythmique et il avait décidé que ce serait sa pochette d’album. Cette semaine-là est aussi associée à la mort de Mike Brant, un très mauvais souvenir. Nous étions amis avec lui, et il venait d’enregistrer « Dis-lui »… C’était un garçon très simple, pas du tout le personnage décrit par les médias.

Pochette de l’album Condorcet Reggae

Votre chanson « Harlem Song » a aussi changé la donne pour le studio.

C’est parce que l’année 73 marque l’arrivée de nouveaux talentueux musiciens dans l’équipe : Pierre Teodori (arrangeur, guitariste, violoniste), Patrice Locci (batteur), Christian Baccioti (bassiste, compositeur, choriste à la voix suraigüe). En juillet, une maquette des disques Flèche, la maison de production de Claude François, traînait sur la console avec un morceau dans l’esprit de « Mamy Blue » de Nicoletta. Nous avons eu l’idée de le jouer avec Jacques Cardona et sa voix magnifique, une rythmique et des chœurs assez chiadés. On le fait écouter à notre ami Alain Krief qui s’extasie, appelle la Warner à Paris pour qu’on signe et ça sort sous le nom de Sweepers, « les balayeurs » (rires). À l’époque, c’était de bon ton que ce soit des Anglo-Américains, alors la maison de disques a estimé qu’il était préférable de cacher que les musiciens étaient français. Le titre a fait un carton et ce qui était très drôle, c’est que des clients venaient chez nous en disant : « on aimerait bien avoir la couleur de chœurs de « Harlem Song ». Ils ne savaient pas que c’était nous.

Vous deviez garder le secret ?

Nous l’avons caché pendant quelques mois, mais ça a fini par se savoir. Le jour où le secret a été éventé, ça a fait la réputation du studio. Ce qu’on a amené c’est une conjonction de chœurs masculins aux voix très aiguës, puissantes, qui donnaient une couleur particulière. Roger Loubet, arrangeur hors-pair, a aussi ramené des artistes de plus en plus importants.

Vous décidez de déménager dans un local plus grand. Pourquoi ?

Nous voulions pouvoir travailler jour et nuit parce que le problème de la rue Condorcet, c’est qu’au-dessus il y avait des appartements… Le premier studio était très petit, il faisait à peine 50m² avec une cabine minuscule. Quand on installait une batterie, elle repassait sur le micro des guitares alors on avait fait construire une grosse cabine vitrée sur roulettes où le batteur s’isolait. On en a installé une autre pour y rentrer les applis de guitare et de basse afin qu’ils ne polluent pas les instruments acoustiques à côté. En plus à l’époque les micros s’imprégnaient de nicotine, ça finissait très mal (rires). Le local de la rue Condorcet a été repris par Jacques Bailly qui a créé le studio Polygone ensuite.

Pour découvrir la suite de l’histoire du studio à Matabiau, c’est par ici

Toulouse en K7 avec Jérémy BraGxon

Au début des années 80, l’autorisation des radios libres est une déflagration pour les jeunes férus de rock. Jérémy BraGxon est l’un d’entre eux. Il vit à Toulouse, anime des émissions et passe son temps libre à enregistrer sur cassette les groupes locaux qu’il entend en concert ou sur les ondes. Quarante ans plus tard, il met en ligne ses enregistrements et le rock toulousain se dévoile sous un nouveau jour…

Comment est née votre passion pour l’enregistrement des groupes sur cassette ?

En 1979, pour un de mes anniversaires, j’ai eu un radio cassette qui permettait d’enregistrer en direct ce qui était diffusé. À l’époque c’était rare d’avoir un bel appareil de ce genre et c’est comme ça que j’ai démarré mes compilations. Quand apparaissent les radios libres toulousaines, ma fréquence d’enregistrement s’accélère et mes cassettes se remplissent en deux ou trois jours. J’ai une série de 90 cassettes de soixante minutes et 300 cassettes de quatre-vingt-dix minutes avec des albums, des concerts, des démos de groupes que je récupérais.

Les radios libres ont donné une véritable impulsion aux groupes méconnus du public.

Avant les radios libres, il y avait des concerts mais on n’avait pas trop d’informations. Les petits groupes, on ne pouvait pas les entendre. L’arrivée des radios libres a ouvert la voie à des musiciens aux styles musicaux très variés, du hard-rock à la cold-wave, en passant par la musique industrielle la plus pointue. Toulouse, on l’appelait « La Belle Endormie » mais sous les pavés, c’était foisonnant.

C’est dans ce contexte exaltant que vous devenez animateur.

En 1982 j’anime l’émission punk « C’est Mozart qu’on assassine » sur Radio de Lègues, à Frouzins, et c’est à cette occasion que je commence à enregistrer les cassettes démos des groupes qui ont envie d’être diffusés.

Parmi ces groupes locaux, quels étaient les plus décalés, ceux qui vous ont marqué ?

Par le biais des radios locales branchées rock je découvre de nombreux groupes : Dau Al Set, Procédé, Jean Paul Dernier, Major Kyo, Maria Et, Thérèse Racket, Western Electrique, Madame Bovary (de Montauban). J’aime bien également Café Noir, Dougherty, les Queen Bees, Fraise des Bois, Les Incorruptibles, Little Helpers, Classé X (un groupe de scène infernal), Rock Urgence, Señor Sévice, les Taxmen, Vespa Bop et des groupes plus parodiques comme ACDJR et Les Rognons Fous (rires). Chacun vivait dans sa petite chapelle mais quand on s’élève un peu, on voit que le paysage musical toulousain était très riche.

Classé X au Bikini en 1984.

Cette diversité vous pousse à créer « Goodbye Toulouse », une émission de radio consacrée à la ville rose.

J’enregistrais les démos de groupes locaux que je recevais pour faire des compilations. En 1984, je quitte Toulouse pour Amiens. J’y reste cinq ans avant de partir à Besançon, où je propose à la radio associative BIP un projet d’émission : « Goodbye Toulouse ». J’ai fait cinquante émissions avec des groupes de rock locaux mais certaines étaient plus spécialisées sur la vie culturelle toulousaine, les radios, le sport ou encore les expressions locales… J’agrémentais mes émissions sur la musique de commentaires sur la vie toulousaine en général.

Ces émissions sont précieuses pour retracer l’histoire du rock à Toulouse.

Il y a peu de groupes toulousains qui ont connu une gloire nationale, hormis Les Ablettes (rock), Les Fils de Joie (new wave, rock) ou Dau Al Set (punk new wave), car la ville n’a pas eu la renommée de Rouen ou de Rennes… C’est une injustice mais il faut dire que les groupes toulousains n’étaient pas très voyageurs. Le rock toulousain, ça fait sourire les autres villes, pourtant il y avait des groupes de qualité.

C’est ce qui vous a poussé à partager vos enregistrements sur Youtube.

C’est ce qui m’intéresse dans cette démarche : faire (re)découvrir ces groupes toulousains qu’on a trop peu entendus. J’ai ressorti des titres que les groupes n’avaient pas conservé, comme un concert des Fils de Joie à Tours en 1985. Ils n’avaient aucune archive de leurs morceaux en live. Ce n’était pas dans notre optique de garder des traces, on ne pensait pas à la postérité. C’est en partant de Toulouse que j’ai pensé que tous ces groupes ne devaient pas rester au fond d’un carton. Je voulais les ressortir et les diffuser, c’était ça qui m’animait.

Les Fils de Joie.

Ta démarche n’est pas sans lien avec Les Archives du rock Toulousain, initiées par Gill Dougherty.

Je cherchais à qui transmettre ces titres que j’avais numérisés et nous sommes rentrés en contact avec Gill. C’est lui qui m’a conseillé de me lancer sur Youtube et de partager ces cassettes. Pour la page des Archives du rock toulousain, j’ai contacté des groupes qui n’ont pas donné suite. C’est dommage parce que notre seul but est de faire revivre cette période. Certains artistes s’étonnent que l’on ne parle pas d’eux, et on leur répond : « donnez-nous de la matière, de quoi parler de vous! » On trouve beaucoup de choses sur Internet, mais il n’y a pas tout.

Dans les années 80, les enregistrements de groupes en concert étaient plus rares qu’aujourd’hui.

C’est vrai. Il y avait des groupes qui se branchaient sur les tables de mixage pendant les concerts, ou bien les sonorisateurs les enregistraient et les transmettaient aux artistes. Avant de quitter Toulouse en 1984, le dernier concert auquel j’ai assisté était celui des Shérifs. C’était leur premier concert en dehors de Montpellier et un spécialiste du groupe m’a appris qu’il n’avait jamais entendu d’enregistrement antérieur à celui-là. Je n’ai donc pas sauvegardé toutes ces cassettes pendant autant d’années pour rien.

Affiche pour le concert des Shérifs, le 6 décembre 1984.

Les mélomanes d’aujourd’hui sont moins familiers avec le format cassette.

Ah la cassette, toute une époque… Aujourd’hui avec le support MP3 ça nous paraît évident de transporter sa musique avec soi mais avant c’était plus compliqué avec les vinyles et les magnétophones à bandes. Le petit format de la cassette offrait cette liberté, avec la possibilité de créer ses propres compilations qu’on pouvait écouter en voiture.

Le mot de la fin : qu’avez-vous envie de dire aux lecteurs ?

On ne va pas se cacher que nous sommes une génération de sexagénaires et que le temps presse, alors n’hésitez pas à ressortir vos archives ! J’ai aimé écouter ces cassettes et aujourd’hui, mon plaisir est de les faire re-découvrir. Beaucoup de livres ont été édités sur les groupes de rock des différentes villes, mais pas sur la scène toulousaine. Ce ne serait que justice qu’il y en ait un qui voit le jour.

Jeremy BraGxon a confié ses cassettes aux Musicophages, un grand merci à lui !

* Toutes les photos sont extraites des Archives du rock toulousain.

Retrouvez tous les enregistrements de Jeremy BraGxon sur Youtube

« Goodbye Toulouse » sur le rock toulousain

« Au nord du rock » sur les groupes d’Amiens et de Besançon

« Jeremy BraGxon fait du tri dans ses archives » pour écouter ses cassettes de 60 minutes

« Jeremy BraGxon continue le tri dans ses archives » pour découvrir ses cassettes de 90 minutes

– « Jeremy BraGxon termine le tri dans ses archives » : en cours de création.

Les Archives du rock toulousain – L’interview

« J’ai voulu restaurer cette vérité qu’à Toulouse la scène était prolifique. »

Passionné de rock, Gill Dougherty vit à Toulouse dans les années 80 et joue dans les groupes Lipstick, Les Incorruptibles, Hobos. Il plonge au cœur d’une scène locale dynamique mais invisibilisée au fil des années. Pour contrer le temps, il créé Les Archives du rock toulousain, un projet collaboratif retraçant la mémoire rock’n’roll de la ville rose. En octobre 2020, Gill Dougherty partage ses archives avec Les Musicophages et nous confie son envie de collecter de nombreux témoignages liés à l’histoire de ces groupes.

Comment a germé en toi l’idée de créer ces archives, et pourquoi ?

Cette page, je l’ai initiée un peu par accident. J’avais gardé des documents sonores, des photos que je voulais restituer à leurs ayants-droits. J’ai pensé qu’elles avaient peut-être un intérêt pour quelqu’un et j’ai décidé de les mettre en ligne pour les rendre à ceux qui les avaient initiées ou apparaissaient sur les images… J’ai creusé tout ce qu’il y avait entre le 28 mars 1980 – date du premier concert de mon groupe Lipstick – et le 12 avril 1990 qui correspond au concert de mon autre groupe, Hobos, au Printemps de Bourges. Au début, je ne souhaitais parler que de groupes alternatifs, les oubliés, ceux dont personne n’avait jamais parlé.

Tu voulais que ces archives soient un projet collaboratif.

Ce qui est important ce sont ceux qui contribuent à créer ces archives. Rapidement il y a des gens qui ont compris l’intérêt du projet et y ont adhéré : « je partage mes documents, partagez les vôtres ! » L’éthique que j’ai mise en place a été de ne jamais apparaître comme un fan ni faire de promotion, mais essayer d’établir objectivement une espèce d’encyclopédie de ce que je connaissais du rock à Toulouse.

Tu regrettes que certains ne voient dans ces archives qu’un moyen de se vanter de leur collection…

C’était important pour moi de signer « Archives du rock toulousain » et non Gill Dougherty car je ne voulais pas mettre d’ego dans ces archives. Il n’y avait donc que peu de place pour un individu qui aurait voulu se faire valoir, mais c’est devenu compliqué car certains gardaient jalousement leurs documents pour se flatter de les avoir et d’apparaître comme des gens importants.

Les groupes toulousains participent-ils activement à ce projet ?

Quelques personnes ont contribué, mais trop peu. Quand je demande aux groupes de me renseigner brièvement sur leur biographie, ils ont la flemme de chercher dans leurs souvenirs. Il y a probablement dans les tiroirs des tas de choses qui dorment, et qui vont se perdre simplement parce que les gens sont paresseux. Dans le cadre des archives, c’est très important de pouvoir donner des noms aux gens et leur rendre leur identité.

Affiche d’un concert pour Dau Al Set organisé par FMR et la Cinémathèque de Toulouse.

As-tu eu des retours surprenants ?

J’ai eu des exemples émouvants. Une jeune fille m’a écrit suite à la découverte d’une vidéo où apparaissait son père musicien qui est décédé, et elle voulait en obtenir une copie. C’est dans ce cas de figure que les archives prennent tout leur sens.

Tu as récupéré les bandes du studio Deltour qui a enregistré la plupart des groupes toulousains dans d’excellentes conditions.

Je connais Georges Baux, propriétaire et ingénieur du son du studio, parce que son frère Pierre-Marie était mon professeur de français. En 1981, ignorant tout de ce qu’était un studio d’enregistrement, j’ai rencontré Georges et je lui ai fait écouter quelques morceaux que je jouais avec les Incorruptibles, mon groupe de l’époque. Je pense que Georges croyait en moi bien plus que je n’y ai jamais cru moi-même. Lorsqu’il a vendu son studio, j’ai récupéré les bandes pour ne pas qu’elles se perdent. Ce sont des pièces d’histoire : il y a les premiers enregistrements des Ablettes (rock), Classé X (rock new wave), Dau Al Set (new wave, punk) et Pour la gloire de Camera Silens. Tout le monde y allait parce que c’était un excellent studio.

Ces archives sont-elles conservées sous support papier ou bien dématérialisées ?

Il y a peu de documents papiers car parmi ceux que l’on m’a confiés, j’ai tout numérisé. L’intégralité des archives est sur un ordinateur et plusieurs disques de sauvegarde.

Les Archives du rock toulousain sont également friandes d’informations sur la périphérie.

Qui parlerait des groupes du Tarn, du Gers, de l’Aude si je ne les incluais pas dans les archives ? Dans cette périphérie où existaient les groupes, il y avait des lieux de rencontre culturels et musicaux. Tous les groupes importants de l’époque, nationaux ou internationaux, passaient au Pied, une ancienne ferme transformée en discothèque, près de l’Isle-Jourdain dans le Gers. Au départ, on disposait quelques caisses de bières avec des planches dessus pour créer une scène, mais à la fin c’était une véritable salle de concert. Le passage des Cramps en 1984 m’a laissé un souvenir incroyable.

Photo des Cramps au Pied en 1980 prise par Eric Romera et publiée dans son journal musical gratuit « Invitation ».

Ne penses-tu pas que le patrimoine musical toulousain a été ostracisé par rapport à d’autres villes ?

Je me souviens avoir été très agacé après avoir lu dans un blog quelqu’un qualifier la musique d’ici de « pauvre scène toulousaine ». Enfin, elle a été extrêmement riche ! Ça n’est pas parce que les médias nationaux n’en parlent pas qu’elle est inexistante. Toulouse est une grande ville et on a tendance à la stigmatiser comme une ville de province. J’ai voulu restaurer cette vérité qu’à Toulouse la scène était prolifique.

Il y a toujours eu une scène blues importante avec Paul Personne, puis Daniel Antoine qui avait une envergure internationale. Les musiciens toulousains d’aujourd’hui doivent savoir d’où ils viennent et connaître cet héritage. L’enjeu des archives est d’offrir un savoir encyclopédique, et si les gens prenaient conscience de cet aspect-là, je pense qu’ils restitueraient mieux ce qu’ils ont et ce dont ils se souviennent. À l’échelle d’un individu, ces anecdotes et souvenirs n’ont pas tellement d’importance mais liés les uns aux autres, ça devient une toile extrêmement riche. Il y a un véritable intérêt historique à constituer ces archives. Pas simplement sur la décennie 80, mais aussi les années 60, 70 ou 90.

Sur Internet, on peut écouter une compilation avec les morceaux des groupes qui sont dans les archives.

Son intérêt, c’est qu’elle comporte de nombreux titres, avec un morceau de chaque groupe. Tous les genres sont présents : rockabilly, cold-wave, hard-rock… Ces artistes sont différents mais lorsqu’on les écoute les uns à la suite des autres, il y a de la cohérence. Cette cohérence, c’est ce qu’on peut appeler le rock toulousain.

Le mot de la fin : qu’as-tu envie de dire aux lecteurs ?

Qu’ils ouvrent leurs putain de tiroirs et donnent tout en vrac, même si les papiers sont jaunis, effacés, peu importe ! Ils ne savent pas la valeur de ce qu’ils ont…

Toutes les photos sont extraites des Archives du rock toulousain.

Retrouvez les Archives du rock toulousain ici et.

The Pixies, piliers de l’alt-rock

Grâce à « Surfer Rosa », les Pixies ont donné ses lettres de noblesse au rock alternatif émergent, en influençant un nombre considérable de groupes pendant les années 90.

La folle histoire des Pixies débute en 1984 à Boston, dans le Massachussets. Le chanteur Black Francis et le guitariste Joey Santiago se rencontrent alors qu’ils sont étudiants en économie à l’université, et partagent la même résidence universitaire. Francis ne jure que par la surf music et Santiago est un passionné de punk, bande-son de le rage qu’il ne tarde pas à faire découvrir à son ami. Ils composent quelques démos mais leurs balbutiements dans la musique s’arrêtent lorsque Black Francis émigre à Porto Rico pendant six mois pour suivre un programme universitaire. Cette expérience le marque considérablement et à son retour, il suggère à Joey d’arrêter ses études pour se consacrer entièrement à la musique. En 1986, ils diffusent une annonce dans un journal afin de recruter une bassiste et Kim Deal, qui n’a jamais touché une basse de sa vie, est la seule à répondre à l’appel. Les deux amis estiment qu’elle est la candidate idéale. Le batteur David Lovering rejoint la bande et The Pixies, nom trouvé en feuilletant le dictionnaire inspiré d’un elfe, voit le jour.

« Come On Pilgrim », 1987

Le groupe est repéré par le producteur Gary Smith de Fort Apache Studio qui a contribué à la reconnaissance des Throwing Muses, premier groupe américain à être signé chez 4AD et que The Pixies accompagnent en tournée. Ils enregistrent une cassette destinée à faire leur promotion auprès des maisons de disques, et Ivo Watts-Russel les signe. Le mini-album composé de huit titres Come On Pilgrim sort en 1987 et, bien qu’il ne soit pas officiellement reconnu comme leur premier album, détient déjà ce qui fait l’essence sulfureuse des Pixies : des paroles surréalistes ayant pour thèmes la religion, les déviances et l’ufologie chantées en anglais et en espagnol. Le voyage à Porto Rico est le fil rouge des textes de Black Francis et reste, tout au long de sa carrière, une source d’inspiration.

« Surfer Rosa », 1988. Le photographe Simon Larbalestier a réalisé les pochettes d’albums des Pixies.

En 1988 sort Surfer Rosa, considéré comme leur premier opus et à l’origine d’un succès retentissant – Come On Pilgrim étant resté confidentiel. Le disque est enregistré sous la houlette de Steve Albini – légendaire producteur de PJ Harvey et plus tard de Nirvana – et fait fureur, tant auprès du public que de la critique. The Pixies, c’est une signature musicale unique, étirant le rythme jusqu’à la schizophrénie, responsable de l’émergence de que l’on nommera « rock alternatif » ou « alt rock ». The Pixies, c’est un rock qui bondit, qui n’est pas stable. Au début de sa carrière, la bande ne se contient pas et laisse sa musique exploser de manière saillante. La batterie de Lovering lacère les morceaux, comme pour accompagner les paroles faisant référence à la mutilation. La guitare lo-fi ainsi que le chant démentiel, immodéré, alternent entre couplets lents, presque flous en comparaison avec les refrains rapides, bruts, donnant l’impression d’être déréglés à l’instar de « Break My Body » ou le hardcore « Something Against You », le tout avec brio. Mais The Pixies c’est aussi un sens de la mélodie très affûtée, comme en attestent les deux morceaux de l’album au succès planétaire : « Where Is My Mind », inspiré du monde marin et « Gigantic », interprété par Kim Deal, dont la voix n’a rien à envier à celle de Black Francis. Jaloux de ses prestations, il l’évincera du chant – le succès qu’elle connaîtra quelques années plus tard avec The Breeders permettra enfin aux auditeurs de savourer la voix de la chanteuse – et l’on peut déceler, dans ces rivalités, les prémices de la désintégration du groupe.

« Last Splash », The Breeders

The Pixies retournent en studio pour enregistrer Doolittle – album moins brut mais plus étoffé, ce que ne cesseront de perfectionner les musiciens sur leurs prochains disques Bossanova et Trompe le Monde – et c’est lors de la tournée qui succède la sortie de l’album que les dissensions s’intensifient entre les deux membres. En 1993, Black Francis annonce à la radio la fin des Pixies. Il enregistre des albums solos et Kim Deal connaît le succès avec The Last Splash, le deuxième album de The Breeders. Le groupe se reforme en 2004 pour de nombreuses tournées mais Kim Deal quitte définitivement la formation en 2013 et sera remplacée par Paz Lenchantin, bassiste du groupe A Perfect Circle.

Si le punk avait déjà ouvert les vannes d’une musique chaotique, The Pixies la prolongera avec leurs gimmicks contrastés de sons durs et pop jusqu’à en inspirer le grunge au début des années 90. Surfer Rosa est l’album de chevet de Kurt Cobain et il demandera à Steve Albini, de produire In Utero. The Smashing Pumpkins, PJ Harvey, et même David Bowie qui enregistre une reprise de « Cactus » sur Heathen, sont subjugués par la maîtrise électrique de cet album phare des années 90, dont l’efficacité demeure intacte trente ans après sa sortie. 


Les femmes à l’assaut du rap français

À la fin des années 70 dans le Bronx, alors que la situation sociale est catastrophique, le rap émerge en symbole de contestation. Les hommes s’en emparent, mais n’accordent qu’une faible visibilité aux femmes. Elles décident pourtant de se frayer un chemin sur scène, et les premières femcees – contraction de « female » et « emcees », maître de cérémonie en anglais – font entendre leur voix. Aux États-Unis, ces pionnières se nomment Sha Rock, The Sequence, ou Queen Latifah… Mais qu’en est-il dans l’hexagone ? Le rap fait ses balbutiements en France à la fin des années 80, mais le mouvement est aussi masculin qu’outre-Atlantique, et les femmes doivent redoubler d’acharnement pour gagner leur place dans un milieu étriqué. Voici cinq portraits de rappeuses qui n’en démordent pas, et se sont battues coûte que coûte pour exprimer leur flow.

Sté Strausz

Saliha, première à se jeter dans l’arène

Si la culture hip-hop commence à se développer en France au milieu des années 80, les femmes sont exclues ou reléguées au second plan car elles ne sont jamais créditées pour leur participation… Saliha rebat les cartes et change les règles du jeu. En 1987, âgée d’à peine 16 ans, elle est la première femme à se produire sur scène face à un public hargneux, essentiellement constitué d’hommes, et qui entend bien le rester. Dans le club qui l’accueille, Chez Roger – l’un des premiers à organiser des soirées rap dans la capitale – ses prestations sont tout de même saluées par New Generations MC’s, qui l’encouragent à persévérer.

Saliha

Sa position d’activiste cultive le respect et incite d’autres rappeuses à faire entendre leurs voix. En 1990, la compilation Rap Attitude est la première compilation rap à sortir en France, et Saliha est la seule femme invitée avec son titre « Enfants du ghetto ». Elle enregistre deux albums, Unique en 1991 et Résolument Féminin en 1994, mais sa carrière ne décolle pas, et son rôle de pionnière du rap n’est reconnu que par une poignée de personnes.

Sté Strausz, reine du rap intègre

Issue de la scène underground de Vitry-sur-Scène, Sté Strausz n’a que seize ans lorsqu’elle signe son premier EP en 1994, Sté Real. Produit par Sully B.Wax, ce mini-album marqué par le G-funk – sous-genre du hip-hop issu de la côte Ouest des États-Unis, influencé par le funk et l’atmosphère californienne – devient rapidement culte pour toute une génération de rappeurs.

Sté Real : premier EP en 1994

En 1997, elle participe à la compilation La haine, musiques inspirées du film, regroupant des morceaux inspirés du scénario de l’œuvre de Mathieu Kassovitz. Son premier album, Ma Génération, sort en 1998 et incarne le hip-hop intègre, axé sur des textes engagés et décapants. Sa voix puissante n’a rien à envier à ses homologues masculins, et ses punchlines acérées la hissent au rang des rappeuses françaises majeures. En 2010, elle coécrit avec Antoine Dole Fly Girls, Histoire(s) du hip-hop féminin en France, qui retrace le parcours de ces pionnières bien souvent restées dans l’ombre.

Le flow enragé de Casey

La rappeuse d’origine martiniquaise fait ses preuves au sein du collectif Anfalsh, aux côtés de B.James et Harry La Hache. Occupant une place à part dans le hip-hop hexagonal, elle récuse l’étiquette de « rappeuse française », et lui préfère celle de « rappeuse de fille d’immigrés » pour se qualifier. Dans ses textes, elle s’évertue à déboulonner le racisme, le passé colonial de la France ou l’oppression qui règne dans les quartiers.

Casey

Révélée en solo en 1997 avec son titre « La parole est mienne », Casey attend 2006 pour publier son premier EP Ennemi de l’ordre, non sans avoir multiplié les collaborations et s’être bâtie une solide réputation indépendante. En 2010, son troisième album solo Libérez la bête est acclamé par tous les amateurs de rap pour sa puissance incisive et sa réflexion sur les enjeux postcoloniaux.

Diam’s, le triomphe d’une femcee

Les années 2000 signent l’arrivée du rap entertainment en France, entraînant ses premiers succès commerciaux, mais rares sont les femmes sous le feu des projecteurs. Pourtant, l’une d’entre elles marque les esprits : Diam’s. Commençant à rapper très jeune, elle se sert de l’écriture pour combattre son passé chaotique et expier ses douleurs. Elle se fait un nom dans le milieu hip-hop à la fin des années 90 pour ses collaborations avec des figures de proue du rap : ATK et Lady Laistee.

Diam’s

Il lui faut pourtant attendre 2003 et la sortie de son deuxième album Brut de femmes sur le célèbre label Hostile (IAM, Youssoupha) pour être révélée auprès du grand public. « DJ », titre phare du disque, est formaté pour les pistes de dance et cartonne ; tandis que « Ma souffrance » témoigne de son passé de femme battue, la rappeuse étant très engagée dans la lutte contre les violences conjugales. Brut de femmes est certifié disque d’or et reste un an dans le top des meilleures ventes d’albums en France. Elle remporte même le prix du Meilleur album rap de l’année aux Victoires de la Musique en 2004 : une première historique pour une rappeuse !

Brut de femmes

Diam’s fait encore un coup d’éclat en 2007 avec Dans ma bulle, disque de diamant en 2007. Son single « La Boulette » fait fureur sur les ondes radio, s’écoule à 650 000 exemplaires, et gagne le prix de la « chanson francophone de l’année » aux NRJ Music Awards. En 2012 , elle annonce officiellement la fin de sa carrière musicale et publie son autobiographie.

Keny Arkana, l’esquisse d’un autre monde

Keny Arkana grandit à Marseille et connaît une enfance difficile. Ballottée de foyers en foyers, la fugue est son unique recours pour échapper à son enfer quotidien. À l’âge de douze ans, elle commence à rapper, et l’écriture devient son nouvel exutoire. En 1996, elle se fait connaître sur la scène underground phocéenne, notamment pour sa participation au sein du collectif État Major, véritable tremplin pour elle. Elle entame une carrière solo en 2003 et l’année suivante, elle fonde le mouvement La Rage du Peuple à Marseille. Ce collectif engagé utilise la colère à des fins positives, défend l’altermondialisme et lutte contre le traitement désastreux réservé aux banlieues.

Keny Arkana

En 2006, la rappeuse signe son premier disque chez le label indépendant Because Music (Booba, Casseurs Flowters). Grâce à une excellente promo, Entre Ciment et Belle Étoile fait le buzz, et Keny Arkana est adoubée par les amateurs de rap et le grand public. Son phrasé enragé descend en flèche l’oppression étatique, le racisme, et revendique son désir de vivre dans une société anticapitaliste. En dépit de ses textes contestataires, la rappeuse ne se définit pas comme une militante, et rejette en bloc les étiquettes politiques.

Quel avenir pour les rappeuses françaises ?

En 2020, les rappeuses émergentes telles que Chilla ou Shay connaissent un succès montant, sans pour autant atteindre la notoriété de Diam’s dans les années 2000. Souvent cantonnées au rap conscient, les Françaises ne jouissent pas de la même liberté que les Américaines. Si Nicki Minaj ou Cardi B sont ovationnées dans le pays de l’Oncle Sam, celles qui décident de s’approprier les codes du gangsta rap dans l’hexagone, en se dénudant et affichant explicitement leur sexualité, sont mises au rebut, à l’instar de Lisa Monet.

Les maisons de disques sont frileuses et refusent de signer les artistes en dehors des cadres tolérés par la société, qui sortent le public de sa zone de confort. Aujourd’hui encore en France, les rappeuses ne peuvent percer que si elles se conforment aux rôles que l’on attend d’elles : féministe mais sans excès, ni trop féminine, ni trop masculine. Le chemin est encore long avant que les femmes ne règnent sur le rap comme elles l’entendent…

Les oubliées de la folk : gloires à contre-temps

La musique folk apparaît entre les deux guerres aux États-Unis, et s’inspire de chansons traditionnelles ayant pour thème le labeur enduré au quotidien par le peuple. Elles sont remises au goût du jour grâce à des textes contestataires et poétiques, accompagnés d’instruments acoustiques. Au cœur des années 60 et 70, la folk est à son apogée. Nombreux sont les artistes à s’emparer d’une guitare pour chanter, mais peu de femmes sont reconnues pour leur talent. Certaines veulent percer dans la musique et enregistrent des disques qui ne bénéficient d’aucune promotion, tandis que d’autres ne chantent que pour elles-mêmes, et tiennent à rester confidentielles. Un point commun relie ces oubliées de la folk : leurs disques sont redécouverts au milieu des années 2000, et gagnent enfin l’estime du public. Plongez dans le récit de cinq destins de femmes hors du commun !

Vashti Bunyan

Karen Dalton, Colorado Blues

Née en 1937 en Oklahoma, Karen Dalton chante le folk et le blues, accompagnée d’un banjo ou d’une Gibson. Fraîchement divorcée, elle part pour New-York en compagnie de sa fille en 1960. Elles s’installent à Greenwich Village – quartier en pleine effervescence artistique – où elle joue des reprises de chansons folk traditionnelles dans des cafés. Son timbre vocal puissant lui vaut d’être comparée à Billie Holiday, et fascine Bob Dylan, qui ne jure que par elle. Hélas, dès que le public devient trop nombreux, Karen est angoissée et ne supporte plus de se produire en live. Avant qu’elle ne puisse percer, sa nervosité constitue un frein pour sa carrière. En 1962, alors que plusieurs artistes de la scène folk du Village enregistrent et connaissent leurs premiers succès, elle choisit de se retirer loin de la ville, pour s’installer dans les montagnes du Colorado où elle suit un mode de vie frugal pendant sept ans.

Karen Dalton et son banjo

Karen retourne à New-York en 1969 dans l’espoir d’enregistrer un disque, mais la scène folk a beaucoup évoluée depuis le début des années 60. Le producteur Nick Venet, subjugué par les prestations scéniques de la chanteuse à ses débuts, rêve secrètement d’enregistrer un disque avec elle. C’est donc lui qui produit son album It’s So Hard To Tell Who’s Going To Love You The Best. Tenant compte des peurs de Karen, il lui laisse prendre ses marques afin qu’elle se sente dans les conditions idéales pour réaliser le disque, enregistré en deux jours à peine! La majorité des morceaux sont des reprises qu’elle connaît sur le bout des doigts, et chantait dans son Colorado enchanté. Elle s’empare de ces titres pour leur offrir une interprétation bluesy et déchirante, qui ne s’inscrit pas dans les codes musicaux folk des années 60 et ne rencontre pas d’écho chez le public.

In My Own Time : second album de Karen Dalton

Après l’échec essuyé par son premier album, Karen est déçue mais n’abandonne pas la musique. En 1971, elle retente sa chance avec In My Own Time, produit par le bassiste Harvey Brooks au studio Bearsville à Woodstock, ville où elle vit depuis peu. Les titres de In My Own Time sont encore des reprises : certains sont des inédits qu’elle ajoute à son répertoire, mais d’autres figurent parmi ses chansons de chevet, à l’instar de « Katie Cruel ». Elle se réapproprie cette chanson traditionnelle datant de la Guerre d’indépendance d’une manière habitée, et marque l’esprit de ses auditeurs – en dépit d’un succès qui n’est toujours pas au rendez-vous, et annonce la fin de sa carrière. Karen développe alors une addiction à l’héroïne qui lui transmet le sida, et fait face à un cancer durant les huit dernières années de sa vie. Elle décède en 1993, mais connaît un succès posthume grâce aux rééditions de ses disques dans les années 90 et 2000. Elle incarne le symbole d’une chanteuse folk en marge pour ne pas avoir trahi ses idéaux artistiques, et incomprise de son vivant. En 2014, son ami et guitariste Peter Walkerréunit les textes de ses chansons – jamais enregistrés en raison de ses problèmes de santé – dans le livre Karen Dalton : Songs, Poems and Writing.

Vashti Bunyan, la marginale

Vashi Bunyan naît en 1945 à Newcastle, en Angleterre. Elle passe son enfance à Londres et part faire des études de dessin à l’université d’Oxford, dont elle est expulsée car elle préfère passer son temps à écrire des chansons. À l’âge de dix-huit ans, elle part à la conquête de New-York où elle découvre Bob Dylan : c’est une révélation pour la chanteuse en herbe. De retour à Londres, elle est repérée par Loog Oldham, le manager des Rolling Stones, qui veut faire d’elle la Marianne Faithfull de la folk. En 1965, elle enregistre une première démo Some Things Just Stick in Your Mind – au casting prestigieux : Keith Richards et Mick Jagger sont les paroliers, Jimmy Page est le guitariste. Elle nourrit le désir d’être la plus anti-commerciale possible, mais devient contre son gré une chanteuse en marge.

Désespérée par ses échecs successifs, elle abandonne la musique et quitte Londres en 1968 pour faire le tour de l’Écosse en roulotte avec sa jument, son chien, et son compagnon Robert Lewis. Elle retrouve Joe Boyd, producteur de l’opus Five Leaves Left de Nick Drake, qui s’était souvenu de sa voix lors d’une représentation. Il produit son album Just Another Diamond Day en 1970, aux côtés de l’arrangeur Robert Kirby qui a également travaillé avec le chanteur folk anglais. Édité chez Philips à quelques centaines d’exemplaires, sans aucune promotion, l’opus doit attendre le début du vingt-et-unième siècle pour être estimé par le public.

Just Another Diamond Day

Just Another Diamond Day est réédité en 2000 grâce au label Spinney. La chanteuse suscite l’admiration pour ses textes en connexion avec la nature et la contemplation, comme le suggère l’ode à la marche « Where I Like To Stand ». La voix douce de Karen berce ses auditeurs avec des contes plongés dans une dimension intemporelle. Alors qu’un revival folk bat son plein au cœur des années 2000, la chanteuse anglaise est enfin reconnue à sa juste valeur. Sa carrière est relancée, et elle enregistre deux albums chez Fat Cat Records (Sigur Rós) : Lookaftering en 2005 et Heartleap en 2014. Elle est invitée à collaborer sur les disques du chanteur folk Devendra Banhart et du groupe de folk-rock psychédélique Animal Collective.

Linda Perhacs, de la dentition à la chanson

Rien ne prédestinait Linda Perhacs à devenir chanteuse. À l’adolescence, elle passe son temps à écrire des chansons, activité que ses parents austères ne regardent pas d’un très bon œil. Après de brillantes études à Los Angeles, elle devient dentiste dans une clinique cossue de la ville. Proche du mouvement hippie, elle continue d’écrire des chansons au cœur de la nature, dès que sa profession le lui permet. La future chanteuse compte parmi ses patients un prestigieux compositeur de musiques de films : Leonard Rosenman ( La fureur de vivre, Barry Lyndon). Admirant la vivacité de Linda, il s’étonne qu’elle ne s’adonne pas à une activité artistique durant son temps libre. Elle lui révèle son goût pour la chanson, et il n’en faut pas plus au compositeur pour l’inviter dans son studio.

Rosenman découvre ses talents, et lui obtient un contrat avec le label Kapp Records pour qu’elle enregistre ses morceaux. Les thèmes oscillent entre l’échec amoureux et la solitude, comme sur le désespéré « Hey, Who Really Cares ». La nature est également à l’honneur sur « Chimacun Rain » qui célèbre la pluie. Sa voix cristalline redouble d’intensité sur les chœurs, et l’auditeur plonge dans un univers à la grâce poignante… Hélas le succès n’est pas au rendez-vous : le label ne s’occupe ni de la promotion du disque, ni d’organiser des concerts. Qui plus est, la qualité du pressage vinyle est médiocre. Parallelograms se perd dans la production artistique foisonnante des 70’s, et ne parvient pas à se démarquer. Comme elle ne peut vivre de sa musique, elle reprend sa vie d’avant, et continue d’être dentiste.

Parallelograms

En 2003, elle reçoit un coup de fil de Michael Piper, responsable du label The Wild Places, qui la recherche depuis deux ans. Il rêve de rééditer Parallelograms qui compte de nombreux adorateurs. Une première réédition voit le jour en 2005, puis une seconde paraît en 2008 chez Sunbeam Records. Elle devient une égérie folk citée comme influence par de nombreux artistes qui l’invitent à collaborer avec elle, parmi lesquels Devendra Banhart. Sa reconnaissance est tardive mais internationale, et lui offre l’opportunité d’enregistrer The Soul of All Natural Thing, en collaboration avec la multi-instrumentiste américaine Julia Holter. Quatre décennies après le début de sa carrière, la voix de Linda Perhacs n’a pas perdu de sa superbe, et ses compositions sont toujours aussi envoûtantes.

Sibylle Baier, folk confidentielle

Un mystère plane sur la biographie de Sibylle Baier, très peu documentée. Elle naît et grandit en Allemagne, qu’elle quitte au milieu des années 70 pour le pays de l’Oncle Sam et prend la nationalité américaine. En 1970, alors qu’elle vit encore dans son pays natal, elle enregistre quatorze chansons à la guitare acoustique sur son magnétophone, suite à un road-trip entre Gênes et Strasbourg. N’ayant pas l’intention de faire carrière, Sibylle Baier déménage aux États-Unis où elle se consacre entièrement à sa famille, et relègue ses chansons au placard.

Colour Green

En 2004, lors de son anniversaire, son fils Robby lui offre les bandes de ses titres gravées sur un CD, qui circule et atterrit entre les mains du label américain Orange Twin Records et l’édite en 2006. Sous le nom de Color Green, ses chansons de jeunesse ont pour toile de fond les instantanés mélancoliques de son quotidien, illustrés par des titres univoque « Remember the day » ou « I Lost Something In The Hill ». Quarante ans après avoir composé ces titres, et alors qu’elle ne s’y attendait pas, Sibylle Baier partage ses déceptions et ses doutes d’antan avec un public conquis.

La mystérieuse disparition de Connie Converse

Née en 1924 dans le New Hampshire, Connie Elizabeth Converse grandit dans une famille baptiste, et écrit des chansons pour transcrire ses états d’âmes. Dans les années 50, elle part vivre à New-York, dans le Greenwich Village, centre névralgique de la contre-culture. Elle nourrit l’espoir de faire carrière dans la musique, et travaille dans une imprimerie jusqu’au jour où elle quitte la Grosse Pomme, en 1961. À l’aube de son cinquantième anniversaire, elle fait une dépression, décide de changer de vie et de disparaître. Elle adresse une lettre à ses proches, entasse ses affaires dans sa voiture, et plus personne ne la revoit…

Alors qu’elle vit encore à New York, son ami créateur de dessins animés et producteur Gene Deitch enregistre les chansons qu’elle a écrites dans sa cuisine. Il est impressionné par son originalité, d’autant qu’à l’époque, les chanteurs de folk interprètent un répertoire traditionnel mais livrent rarement leurs textes. Pourtant Connie Converse se dévoile sans fard, à travers un registre intimiste. Trente ans après sa disparition, en 2004, Gene Deitch est invité dans une émission de radio new-yorkaise où il présente le titre élégiaque « One By One ». N’ayant jamais donné de concert ou de session studio, c’est la première fois que le public entend la voix de la chanteuse qui ne passe pas inaperçue. Dan Dzuda, un fan de jazz, la découvre alors qu’il est au volant de sa voiture. Subjugué par son talent, il tient à tout prix à faire connaître ses compositions au plus grand nombre. Il créé alors son label Squirrel Thing Recordings et édite en 2009 How Sad, How Lovely, composé de dix-neuf pépites. Connie Converse a beau avoir disparue, elle est tirée de l’oubli par cet admirateur, qui devine dans ses titres introspectifs sur la solitude et l’écueil des relations, le potentiel d’une grande dame folk.

Synthwave : la bande-originale du futur

Depuis son apparition il y a dix ans, la synthwave fait fureur ! Ce style musical rétrofuturiste puise son inspiration dans les années 80. Synthétiseurs, bandes originales de films d’horreur ou de science-fiction… Les codes visuels et sonores de la décennie sont réintroduits par le film Drive qui devient culte et lance le phénomène synthwave partout dans le monde. Sans Vangelis, Tangerine Dream ou Brian Eno, artistes à l’origine de l’identité électronique et cinématographique du mouvement, celui-ci n’existerait probablement pas.

Le film Drive pose les jalons de l’esthétique synthwave.

Le rêve cosmique de Tangerine Dream

Le groupe berlinois est une référence unanimement citée par les amateurs de synthwave. Edgar Froese, étudiant en peinture et en sculpture, créé le groupe en 1967. Il suit les cours du musicien contemporain Thomas Kessler au conservatoire de Berlin. Le compositeur offre à ses élèves l’opportunité de faire leurs marques au « Beat Studio » : lieu d’enregistrement dédié à la recherche sonore et à l’improvisation. Froese est le seul membre constant de Tangerine Dream ; si le line-up change très fréquemment, certains musiciens parmi lesquels Christopher Franke et Peter Baumann jouent un rôle majeur dans l’identité sonore du groupe.

Tangerine Dream

Au début des années 70, le claviériste Christopher Franke parvient à programmer l’un des premiers synthétiseurs disponibles sur le marché : le VCS3. Or, à cette époque, les claviers électroniques sont difficiles d’accès et réservés à un public aisé, capable d’en connaître les rouages. C’est ainsi qu’il rachète à Mick Jagger l’un des premiers Moog 3P, que l’icône des Rolling Stones est bien en peine d’utiliser. Le Mellotron, synthétiseur dont les sonorités sont issues de bandes magnétiques préenregistrées, est l’un des instruments fétiches des allemands. Maîtrisant le fonctionnement de la création analogique sur le bout des doigts, le groupe berlinois s’en sert pour improviser des morceaux électroniques lancinants, qui donnent naissance à des albums cultes tels que Rubycon en 1975. Ainsi, la musique planante et synthétique de Tangerine Dream insuffle à la synthwave sa dimension atmosphérique : le rêve de la mandarine est devenue cosmique.

Christopher Franke et ses synthétiseurs

Si Tangerine Dream fait date dans l’esprit des amateurs de synthwave, c’est parce que le groupe est responsable de la composition d’une trentaine de bandes-originales de films qui ont façonné l’identité des années 80. En 1978, le réalisateur de films d’horreur William Friedkin les découvre en concert à Paris, et désire que le groupe allemand compose la musique de son futur film : Sorcerer. Friedkin leur donne le scénario puis leur laisse une totale liberté pour la bande-son, réalisée sur bande magnétique. Le réalisateur est conquis et s’inspire des nappes électroniques pour perfectionner les séquences du film où Tangerine joue. Le film et la musique ne font qu’un, et la bande-originale de Sorcerer fait fureur auprès du public américain. En 2014, les berlinois jouent les titres du film lors d’un concert à Copenhague qui fait date pour les fans de Sorcerer. À cette occasion, la bande-son est rééditée avec l’aide de Cliff Martinez, qui compose la bande-originale très synthwave des films de Nicolas Winding Refn ! La musique de Sorcerer devient culte, grâce aux plages synthétiques sombres très prisées des réalisateurs de science-fiction ou d’horreur, et Tangerine Dream incorpore la production cinématographique des années 80, dont les aficionados de synthwave raffolent.

La dystopie synthétique de Vangelis

Enfant prodige, Vangelis commence à composer en autodidacte alors qu’il n’a que quatre ans. Pendant son adolescence au début des années 60, il joue dans des groupes de jazz et de rock qui connaissent un franc succès en Grèce. Il déménage en France pour monter le groupe Aphrodite’s Child avec Demis Roussos, et participe à mai 68 qui lui inspire l’album-concept Fais que ton rêve soit plus long que la nuit. Parallèlement, il commence à créer sa propre musique à l’aide de synthétiseurs. Après avoir publié son premier album solo Earth en 1973, il emménage à Londres où il fonde son propre studio et édite une série de disques – Heaven and Hell en 1975, Albedo 0.39 en 1976, Spiral en 1977 et Beaubourg en 1978qui mélangent rock progressif, musique classique et sonorités électroniques. Son style musical s’illustre par un éclectisme surprenant : il emprunte autant aux cordes utilisées dans la musique classique du passé, qu’aux synthétiseurs du présent et du futur, amplifiés par la réverbération. À l’inverse de Tangerine Dream qui compose sa musique à partir de séquences répétitives où se développent la mélodie, Vangelis fait un usage minimaliste des boucles et préfère enregistrer à partir de son clavier fétiche : le Yamaha CS80. Véritable figure de proue de la musique électronique pendant les années 70, Vangelis est l’un des influenceur majeur de la synthwave.

Vangelis dans son studio

Vangelis a gagné un nombre incalculable de récompenses pour ses musiques de films. En 1981, il compose la bande-son de la comédie dramatique anglaise Les Charriots de feu de Hugh Hudson, grâce à laquelle il rafle l’Oscar de la meilleure musique. Mais c’est sa rencontre avec Ridley Scott qui scelle son lien avec la synthwave à venir. Le réalisateur lui demande de composer la bande-originale de Blade Runner, film de science-fiction librement adapté du roman de PhilipK.Dick Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? Lors de sa sortie en 1982, le film est un échec aux États-Unis mais acquiert une renommée dans le reste du monde. En 1983, la bande-son de Blade Runner est nommée aux Golden Globe. Elle est saluée pour son ambiance teintée d’harmonies sombres, de sonorités futuristes et de musique classique, conformément aux souhaits du réalisateur. Blade Runner met plus de dix ans à atteindre le statut d’œuvre culte, et c’est notamment grâce à la sortie du film en version director’s cut, en parallèle de l’album de la bande-originale qui ne voit le jour qu’en 1994. L’univers synthwave s’inspire des gammes rétrofuturistes initiées par Vangelis, mais également du style visuel très cyberpunk du film. Aujourd’hui, le bijou de Ridley Scott est enfin reconnu comme l’un des films les plus influents de tous les temps, et est entré dans le temple de la pop-culture.

L’introspection électronique de Brian Eno

Musicien et producteur émérite, Brian Eno est l’un des compositeurs les plus influents du XXI ème siècle. Né en 1948 dans le Suffolk en Angleterre, il étudie la peinture et la musique expérimentale à l’école d’art de Winchester. Il se passionne pour l’art conceptuel et se penche sur les recherches sonores de John Cage et Steve Reich, dont il s’inspire pour ses premières créations expérimentales. En 1971, il rejoint le groupe de glam-rock Roxy Music, où son rôle évolue au fil des années. Assigné en premier lieu à la table de mixage, il chante dans les chœurs avant de devenir le claviériste attitré avec son synthétiseur EMS VCS3. En raison de son incompatibilité relationnelle avec le chanteur Bryan Ferry, il quitte Roxy Music.

Brian Eno dans les années 70

En 1978, il bouleverse le destin de la musique électronique à venir, en lui accordant un pouvoir introspectif dont s’inspirent certaines branches de la synthwave. Avec son album Music for Airports produit par Conny Plank, il invente le style « ambient » qui définit une musique réflexive, à l’atmosphère minimaliste et froide. En 1984, il affûte ses expérimentations ambient avec Thursday Afternoon : opus constitué d’un unique morceau d’une heure que la technologie émergente autorise sur CD. Il collabore avec de nombreux musiciens, et s’illustre par ses talents en réalisation artistique notamment pour la trilogie berlinoise de David Bowie composée de Low et Heroes en 1977, puis de Lodger en 1979.

Music For Airports : l’acte fondateur de la musique ambient

En 1984, David Lynch adapte le premier tome du cycle de Dune écrit par Frank Herbert. Brian Eno est invité en tant que producteur de la bande-originale du film, enregistrée avec le groupe de rock américain Toto et l’Orchestre symphonique de Vienne. Tous les morceaux sont composés par Toto à l’exception de « Prophecy Theme » qui hante le film par sa dimension irréelle, plongeant l’auditeur dans un univers résolument ambient.