Rétro Toulouse – Les Fils de Joie

Groupe incontournable de la scène post-punk toulousaine des 80’s, Les Fils de Joie font leur comeback en 2023 ! Presque quarante ans après leur séparation, l’album Nous ne dansons plus la nuit remet au goût du jour titres cultes et inédits. Rencontre avec Olivier de Joie, chanteur et guitariste, qui retrace avec un enthousiasme contagieux leur tumultueuse épopée.

La légende dit que Les Fils de Joie se sont formés à l’occasion d’un concert d’Iggy Pop …

En 1978, Iggy joue à la Halle aux grains. Dans la foule, deux gars la coiffure en pétard cherchent un guitariste pour un concert le samedi suivant. Ils m’engagent à condition que je me coupe les cheveux (rires). Je rejoins les Fly Killers, premier groupe punk toulousain, où je rencontre Alain, le batteur des Fils de Joie. À seize ans, il était déjà incroyable, il cognait comme un fou. Nous, on jouait super mal. Après un concert pour la fête du lycée Bellevue, on essaie de monter un vrai groupe l’été, Les Touristes. On part répéter dans une ferme du Gers, on fout un bordel incroyable. On fonde Les Fils de Joie en septembre, avec Chris à la basse. L’explosion punk avait envoyé les codes valser et le plus important n’était pas la virtuosité, mais la créativité.

En tant que groupe débutant, où vous produisiez-vous à Toulouse ?

Par rapport à d’autres villes, on était un peu en retard au niveau des salles. Celle qui était mythique, c’était Le Pied dans le Gers. On y a joué bien plus tard, après la sortie d’Adieu Paris. À Toulouse, on jouait surtout dans les facs. Notre premier live était à l’université Paul Sabatier, puis Sup’ de Co, l’école Vétérinaire, Sup’Aéro… C’est là qu’on a rencontré Pascal Jouxtel, qui a chanté le temps d’un concert et est resté proche du groupe.

Vous recherchiez un autre chanteur ?

Oui, parce que je ne savais pas trop chanter à l’époque. Je commençais à écrire des chansons en copiant Les Ramones, notre idéal de groupe. Il nous fallait un chanteur, mais Pascal préférait écrire les paroles, alors je me suis collé au chant et on a coécrit la majorité des premiers titres ensemble.

Pourquoi chanter en français ?

Parce que c’était la rébellion ultime ! La langue du rock c’est l’anglais. Quand t’es punk, tu fais tout ce qui n’a pas été fait avant, même si certains groupes nous ont précédé – Starshooter, Bijou. En France, on est un peuple de rebelles et de poètes. Chanter en français est exigeant et ça te met la pression quand t’essaies d’écrire. Au début, nos rimes et nos textes étaient loin d’être parfaits…

Les paroles de vos chansons s’illustrent par leur engagement, entre humour noir et second degré.

On essayait de faire passer des messages, mais jamais en disant « la guerre c’est mal, arrêtez ». C’était un peu à la punk, à la Fils de Joie. Tu prends une situation et tu la décris d’une telle manière que les gens comprennent que c’est du second degré et qu’il se passe un truc. Souvent dans les médias, l’information est livrée de manière aseptisée. Nous, on disait les choses sans filtre mais avec humour je pense.

Vous avez co-écrit de nombreuses chansons avec Pascal Jouxtel. Comment se déroulaient les sessions d’écriture à quatre mains ?

J’ai toujours aimé la poésie et Pascal était encore plus littéraire que moi. Il me disait que si on voulait écrire, il fallait être rigoureux avec les rimes. Il apportait un regard différent sur les textes. Si tu prends « Adieu Paris », j’ai trouvé le titre. On voulait une chanson sur l’époque désabusée dans laquelle on vivait. Je commence avec les paroles carte postale « La Tour Eiffel, la tour Montparnasse », et Pascal rebondit avec « la corde ou le gaz ». Ça ne rime pas tout à fait, mais Montparnasse et gaz, ça résonnait tellement bien pour le sens. Tu te rends compte que tu peux te jeter de la Tour Eiffel et de la Tour Montparnasse. Ce qui était génial avec Pascal, c’est qu’on se renvoyait constamment la balle.

« Adieu Paris » concorde avec l’avènement des radios libres qui va être une déflagration.

Absolument ! Imagine que du jour au lendemain tous tes copains du bahut commencent à créer leurs radios. À Toulouse il y avait TSF, FMR, et quatre ou cinq radios rien que dans la rue Saint-Rome. On enregistrait et donnait nos cassettes pour essayer d’être produits. On s’est retrouvés à Polygone pendant trois jours pour faire le 45T autoproduit et les radios libres nous ont adoptés. Les anglais ont eu « No Futur », les américains « I don’t care » mais nous les français on est un peu plus intellos. « Adieu Paris », ça rendait bien.

« Adieu Paris » est également novateur pour son emploi du saxophone, rare dans le punk des années 80.

Christophe Jouxtel, le grand frère de Pascal, était saxophoniste. Il est venu au studio Polygone pendant l’enregistrement. On ne savait pas ce qu’il allait jouer et quand on l’a entendu, on a adoré et gardé sa partie. Quand on jouait une chanson comme « Adieu Paris », un étrange mélange de ska et de cold wave, où la basse est très présente, avec un rythme « shuffle » lent, les gens étaient surpris à l’époque.

En 1984, Vous signez avec Phonogram et un chemin pavé d’embûches s’ouvre à vous.

L’idée de départ, c’était d’enregistrer deux 45T et un album. On fait une série de maquettes dans le studio Phonogram du Boulevard de l’Hôpital, tenu par un gars qui avait beaucoup travaillé avec Brassens. Je ne sais pas ce que sont devenues les bandes. On avait fait dix ou douze morceaux et s’ils s’étaient contentés de sortir l’album, ça nous aurait suffi. Ensuite, il a fallu réenregistrer trois titres pour le maxi 45T. Ça avait beau être nos morceaux, c’est le producteur qui avait le dernier mot sur la façon dont on les arrangeait.

C’est Jello, le guitariste de Starshooter, qui produit « Tonton Macoute ».

Oui. Il rentrait d’Afrique et c’est lui qui a donné cette couleur avec des percussions. Au départ c’est un morceau rock ska. Il parle d’Haïti. On ne le renie pas et le public l’appréciait. On a aussi enregistré une nouvelle version de « Havana Affair » et « Voici le jour », écrit par Daniel et Pascal. Cette session n’était pas dramatique. Avec le recul, je dirais qu’elle nous ressemblait à 80%. Au bout du compte, signer chez Phonogram a cassé notre image d’indépendant. On s’est retrouvés en décalage avec nos fans d’un côté et la maison de disques, qui s’est trompée dans ses attentes. « Tonton Macoute », ça n’est pas grand public.

Vous enregistrez le second 45T et les choses se compliquent.

Quand on a signé, on se voyait déjà comme les Stones, partir en studio le temps qu’il faut pour faire un super album qui nous ressemble. Malheureusement ça n’était pas comme ça. Le producteur décide. Il a donc fallu refaire « Adieu Paris » et « J’appelle par-delà les mers ». Cette fois, c’était Franck Darcel, qui venait de produire Daho, aux manettes. Il avait fait du bon travail avec lui mais je ne crois pas qu’il ait compris qui nous étions. Le bassiste a été remplacé par un requin de studio, le batteur par une boîte à rythme. Ça n’était plus vraiment nous. Six mois plus tard on s’est séparés.

Vous avez aussi enduré de nombreux changements de line-up.

Au début, on était très jeunes, des lycéens. On commence à trois (Alain, Chris et moi), puis Daniel nous rejoint à la basse après son bac. Le soir d’un concert au Grand Parc de Bordeaux, fin 82, Alain prend sa batterie et se casse. Pour le remplacer on recrute Dorian qui vient d’Angoulême, et en tournée Marc au saxophone. Après notre passage chez Phonogram, Chris et Dorian sont partis. Il ne restait plus que Marc et moi.

Olivier de Joie et Marc de Joie en 1986

Après la séparation du groupe, vous continuez à composer ensemble tous les deux.

On est allés à Bretagne, à Landévennec. Pendant trois mois d’hiver on se caillait à écrire des chansons, puis on est retournés à Paris. Il y avait Radio Libération (ndlr : la radio libre du journal), qui possédait d’énormes studios dans le 18e. Un de nos potes les connaissait et ils nous ont laissé y travailler le temps qu’on voulait. On enregistrait des tonnes de titres : « Nous ne dansons plus la nuit », « Le bon dieu n’a pas voulu de moi », « Allongé sur la dune ». On essayait des trucs et c’était une super expérience mais au fond, on ne savait plus trop quoi faire. Garder le nom des Fils de Joie était douloureux pour nous mais on ne voulait pas repartir de zéro. Finalement, on a laissé tomber. Aujourd’hui j’assume complètement cette époque et notre groupe.

Pendant les années 2000, vos morceaux ressortent sur internet et les fans sont toujours au rendez-vous.

Un site internet a même été créé par un fan ! (ndlr : http://filsdejoie.e-monsite.com/)

Tout ça permet de faire table rase des mauvaises histoires. On ne se rappelle que les bons souvenirs. En te replongeant dans le passé, tu redécouvres les morceaux. C’est comme ça que l’idée d’un album surgit. Pendant le confinement on remastérise des chansons. À cet album, on a même rajouté « Ultime Pogo », un morceau écrit en 2018, en hommage à Toulouse, la ville chère à mon cœur et la scène rock de l’époque qui rêvait de conquérir le monde.

C’est le label toulousain Pop Sisters Records qui édite l’album. Pourquoi avoir choisi de collaborer avec eux ?

Parce que Les Fils de Joie, c’est une histoire toulousaine, et le premier critère était de choisir un label local et indépendant. On a bien accroché, c’était un peu écrit. La pochette a été réalisée par le toulousain aussi Jacques Pecate qui a rafraîchi notre logo.

Quelle est l’histoire de la chanson dédiée à Ian Curtis « Nous ne dansons plus la nuit » qui donne son titre au disque ?

Je l’ai écrite pendant mon service militaire. J’avais l’impression de perdre mon temps et j’étais déjà déprimé quand j’ai appris que Ian Curtis s’était pendu. La première version était en anglais, « We’re not dancing anymore », mais il aurait fallu qu’on la traduise en français pour qu’elle devienne une vraie chanson des Fils de Joie. Je l’ai fait quatre ou cinq ans plus tard. C’est un hommage au talent de Ian Curtis malgré sa maladie : « des rimes et des barbituriques / des poèmes épileptiques ».

Des concerts de prévu pour le flamboyant retour des Fils de Joie ?

Oui ! On fera un showcase le vendredi 24 Février à 19h chez Croc Vinyl et une release party en mai à Toulouse, car on veut du soleil. Le 16 septembre on joue à Duran pour le festival Le son de la nuit. D’autres dates suivront.

Pour écouter Nous ne dansons plus la nuit en ligne, c’est par .

Les archives des Fils de Joie (vinyles, cd, flyers, coupures de presse) sont en consultation aux Musicophages sur rendez-vous. Pour retrouvez toute leur actualité, c’est ici.

Les Archives du rock toulousain – L’interview

« J’ai voulu restaurer cette vérité qu’à Toulouse la scène était prolifique. »

Passionné de rock, Gill Dougherty vit à Toulouse dans les années 80 et joue dans les groupes Lipstick, Les Incorruptibles, Hobos. Il plonge au cœur d’une scène locale dynamique mais invisibilisée au fil des années. Pour contrer le temps, il créé Les Archives du rock toulousain, un projet collaboratif retraçant la mémoire rock’n’roll de la ville rose. En octobre 2020, Gill Dougherty partage ses archives avec Les Musicophages et nous confie son envie de collecter de nombreux témoignages liés à l’histoire de ces groupes.

Comment a germé en toi l’idée de créer ces archives, et pourquoi ?

Cette page, je l’ai initiée un peu par accident. J’avais gardé des documents sonores, des photos que je voulais restituer à leurs ayants-droits. J’ai pensé qu’elles avaient peut-être un intérêt pour quelqu’un et j’ai décidé de les mettre en ligne pour les rendre à ceux qui les avaient initiées ou apparaissaient sur les images… J’ai creusé tout ce qu’il y avait entre le 28 mars 1980 – date du premier concert de mon groupe Lipstick – et le 12 avril 1990 qui correspond au concert de mon autre groupe, Hobos, au Printemps de Bourges. Au début, je ne souhaitais parler que de groupes alternatifs, les oubliés, ceux dont personne n’avait jamais parlé.

Tu voulais que ces archives soient un projet collaboratif.

Ce qui est important ce sont ceux qui contribuent à créer ces archives. Rapidement il y a des gens qui ont compris l’intérêt du projet et y ont adhéré : « je partage mes documents, partagez les vôtres ! » L’éthique que j’ai mise en place a été de ne jamais apparaître comme un fan ni faire de promotion, mais essayer d’établir objectivement une espèce d’encyclopédie de ce que je connaissais du rock à Toulouse.

Tu regrettes que certains ne voient dans ces archives qu’un moyen de se vanter de leur collection…

C’était important pour moi de signer « Archives du rock toulousain » et non Gill Dougherty car je ne voulais pas mettre d’ego dans ces archives. Il n’y avait donc que peu de place pour un individu qui aurait voulu se faire valoir, mais c’est devenu compliqué car certains gardaient jalousement leurs documents pour se flatter de les avoir et d’apparaître comme des gens importants.

Les groupes toulousains participent-ils activement à ce projet ?

Quelques personnes ont contribué, mais trop peu. Quand je demande aux groupes de me renseigner brièvement sur leur biographie, ils ont la flemme de chercher dans leurs souvenirs. Il y a probablement dans les tiroirs des tas de choses qui dorment, et qui vont se perdre simplement parce que les gens sont paresseux. Dans le cadre des archives, c’est très important de pouvoir donner des noms aux gens et leur rendre leur identité.

Affiche d’un concert pour Dau Al Set organisé par FMR et la Cinémathèque de Toulouse.

As-tu eu des retours surprenants ?

J’ai eu des exemples émouvants. Une jeune fille m’a écrit suite à la découverte d’une vidéo où apparaissait son père musicien qui est décédé, et elle voulait en obtenir une copie. C’est dans ce cas de figure que les archives prennent tout leur sens.

Tu as récupéré les bandes du studio Deltour qui a enregistré la plupart des groupes toulousains dans d’excellentes conditions.

Je connais Georges Baux, propriétaire et ingénieur du son du studio, parce que son frère Pierre-Marie était mon professeur de français. En 1981, ignorant tout de ce qu’était un studio d’enregistrement, j’ai rencontré Georges et je lui ai fait écouter quelques morceaux que je jouais avec les Incorruptibles, mon groupe de l’époque. Je pense que Georges croyait en moi bien plus que je n’y ai jamais cru moi-même. Lorsqu’il a vendu son studio, j’ai récupéré les bandes pour ne pas qu’elles se perdent. Ce sont des pièces d’histoire : il y a les premiers enregistrements des Ablettes (rock), Classé X (rock new wave), Dau Al Set (new wave, punk) et Pour la gloire de Camera Silens. Tout le monde y allait parce que c’était un excellent studio.

Ces archives sont-elles conservées sous support papier ou bien dématérialisées ?

Il y a peu de documents papiers car parmi ceux que l’on m’a confiés, j’ai tout numérisé. L’intégralité des archives est sur un ordinateur et plusieurs disques de sauvegarde.

Les Archives du rock toulousain sont également friandes d’informations sur la périphérie.

Qui parlerait des groupes du Tarn, du Gers, de l’Aude si je ne les incluais pas dans les archives ? Dans cette périphérie où existaient les groupes, il y avait des lieux de rencontre culturels et musicaux. Tous les groupes importants de l’époque, nationaux ou internationaux, passaient au Pied, une ancienne ferme transformée en discothèque, près de l’Isle-Jourdain dans le Gers. Au départ, on disposait quelques caisses de bières avec des planches dessus pour créer une scène, mais à la fin c’était une véritable salle de concert. Le passage des Cramps en 1984 m’a laissé un souvenir incroyable.

Photo des Cramps au Pied en 1980 prise par Eric Romera et publiée dans son journal musical gratuit « Invitation ».

Ne penses-tu pas que le patrimoine musical toulousain a été ostracisé par rapport à d’autres villes ?

Je me souviens avoir été très agacé après avoir lu dans un blog quelqu’un qualifier la musique d’ici de « pauvre scène toulousaine ». Enfin, elle a été extrêmement riche ! Ça n’est pas parce que les médias nationaux n’en parlent pas qu’elle est inexistante. Toulouse est une grande ville et on a tendance à la stigmatiser comme une ville de province. J’ai voulu restaurer cette vérité qu’à Toulouse la scène était prolifique.

Il y a toujours eu une scène blues importante avec Paul Personne, puis Daniel Antoine qui avait une envergure internationale. Les musiciens toulousains d’aujourd’hui doivent savoir d’où ils viennent et connaître cet héritage. L’enjeu des archives est d’offrir un savoir encyclopédique, et si les gens prenaient conscience de cet aspect-là, je pense qu’ils restitueraient mieux ce qu’ils ont et ce dont ils se souviennent. À l’échelle d’un individu, ces anecdotes et souvenirs n’ont pas tellement d’importance mais liés les uns aux autres, ça devient une toile extrêmement riche. Il y a un véritable intérêt historique à constituer ces archives. Pas simplement sur la décennie 80, mais aussi les années 60, 70 ou 90.

Sur Internet, on peut écouter une compilation avec les morceaux des groupes qui sont dans les archives.

Son intérêt, c’est qu’elle comporte de nombreux titres, avec un morceau de chaque groupe. Tous les genres sont présents : rockabilly, cold-wave, hard-rock… Ces artistes sont différents mais lorsqu’on les écoute les uns à la suite des autres, il y a de la cohérence. Cette cohérence, c’est ce qu’on peut appeler le rock toulousain.

Le mot de la fin : qu’as-tu envie de dire aux lecteurs ?

Qu’ils ouvrent leurs putain de tiroirs et donnent tout en vrac, même si les papiers sont jaunis, effacés, peu importe ! Ils ne savent pas la valeur de ce qu’ils ont…

Toutes les photos sont extraites des Archives du rock toulousain.

Retrouvez les Archives du rock toulousain ici et.

Synthwave : la bande-originale du futur

Depuis son apparition il y a dix ans, la synthwave fait fureur ! Ce style musical rétrofuturiste puise son inspiration dans les années 80. Synthétiseurs, bandes originales de films d’horreur ou de science-fiction… Les codes visuels et sonores de la décennie sont réintroduits par le film Drive qui devient culte et lance le phénomène synthwave partout dans le monde. Sans Vangelis, Tangerine Dream ou Brian Eno, artistes à l’origine de l’identité électronique et cinématographique du mouvement, celui-ci n’existerait probablement pas.

Le film Drive pose les jalons de l’esthétique synthwave.

Le rêve cosmique de Tangerine Dream

Le groupe berlinois est une référence unanimement citée par les amateurs de synthwave. Edgar Froese, étudiant en peinture et en sculpture, créé le groupe en 1967. Il suit les cours du musicien contemporain Thomas Kessler au conservatoire de Berlin. Le compositeur offre à ses élèves l’opportunité de faire leurs marques au « Beat Studio » : lieu d’enregistrement dédié à la recherche sonore et à l’improvisation. Froese est le seul membre constant de Tangerine Dream ; si le line-up change très fréquemment, certains musiciens parmi lesquels Christopher Franke et Peter Baumann jouent un rôle majeur dans l’identité sonore du groupe.

Tangerine Dream

Au début des années 70, le claviériste Christopher Franke parvient à programmer l’un des premiers synthétiseurs disponibles sur le marché : le VCS3. Or, à cette époque, les claviers électroniques sont difficiles d’accès et réservés à un public aisé, capable d’en connaître les rouages. C’est ainsi qu’il rachète à Mick Jagger l’un des premiers Moog 3P, que l’icône des Rolling Stones est bien en peine d’utiliser. Le Mellotron, synthétiseur dont les sonorités sont issues de bandes magnétiques préenregistrées, est l’un des instruments fétiches des allemands. Maîtrisant le fonctionnement de la création analogique sur le bout des doigts, le groupe berlinois s’en sert pour improviser des morceaux électroniques lancinants, qui donnent naissance à des albums cultes tels que Rubycon en 1975. Ainsi, la musique planante et synthétique de Tangerine Dream insuffle à la synthwave sa dimension atmosphérique : le rêve de la mandarine est devenue cosmique.

Christopher Franke et ses synthétiseurs

Si Tangerine Dream fait date dans l’esprit des amateurs de synthwave, c’est parce que le groupe est responsable de la composition d’une trentaine de bandes-originales de films qui ont façonné l’identité des années 80. En 1978, le réalisateur de films d’horreur William Friedkin les découvre en concert à Paris, et désire que le groupe allemand compose la musique de son futur film : Sorcerer. Friedkin leur donne le scénario puis leur laisse une totale liberté pour la bande-son, réalisée sur bande magnétique. Le réalisateur est conquis et s’inspire des nappes électroniques pour perfectionner les séquences du film où Tangerine joue. Le film et la musique ne font qu’un, et la bande-originale de Sorcerer fait fureur auprès du public américain. En 2014, les berlinois jouent les titres du film lors d’un concert à Copenhague qui fait date pour les fans de Sorcerer. À cette occasion, la bande-son est rééditée avec l’aide de Cliff Martinez, qui compose la bande-originale très synthwave des films de Nicolas Winding Refn ! La musique de Sorcerer devient culte, grâce aux plages synthétiques sombres très prisées des réalisateurs de science-fiction ou d’horreur, et Tangerine Dream incorpore la production cinématographique des années 80, dont les aficionados de synthwave raffolent.

La dystopie synthétique de Vangelis

Enfant prodige, Vangelis commence à composer en autodidacte alors qu’il n’a que quatre ans. Pendant son adolescence au début des années 60, il joue dans des groupes de jazz et de rock qui connaissent un franc succès en Grèce. Il déménage en France pour monter le groupe Aphrodite’s Child avec Demis Roussos, et participe à mai 68 qui lui inspire l’album-concept Fais que ton rêve soit plus long que la nuit. Parallèlement, il commence à créer sa propre musique à l’aide de synthétiseurs. Après avoir publié son premier album solo Earth en 1973, il emménage à Londres où il fonde son propre studio et édite une série de disques – Heaven and Hell en 1975, Albedo 0.39 en 1976, Spiral en 1977 et Beaubourg en 1978qui mélangent rock progressif, musique classique et sonorités électroniques. Son style musical s’illustre par un éclectisme surprenant : il emprunte autant aux cordes utilisées dans la musique classique du passé, qu’aux synthétiseurs du présent et du futur, amplifiés par la réverbération. À l’inverse de Tangerine Dream qui compose sa musique à partir de séquences répétitives où se développent la mélodie, Vangelis fait un usage minimaliste des boucles et préfère enregistrer à partir de son clavier fétiche : le Yamaha CS80. Véritable figure de proue de la musique électronique pendant les années 70, Vangelis est l’un des influenceur majeur de la synthwave.

Vangelis dans son studio

Vangelis a gagné un nombre incalculable de récompenses pour ses musiques de films. En 1981, il compose la bande-son de la comédie dramatique anglaise Les Charriots de feu de Hugh Hudson, grâce à laquelle il rafle l’Oscar de la meilleure musique. Mais c’est sa rencontre avec Ridley Scott qui scelle son lien avec la synthwave à venir. Le réalisateur lui demande de composer la bande-originale de Blade Runner, film de science-fiction librement adapté du roman de PhilipK.Dick Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? Lors de sa sortie en 1982, le film est un échec aux États-Unis mais acquiert une renommée dans le reste du monde. En 1983, la bande-son de Blade Runner est nommée aux Golden Globe. Elle est saluée pour son ambiance teintée d’harmonies sombres, de sonorités futuristes et de musique classique, conformément aux souhaits du réalisateur. Blade Runner met plus de dix ans à atteindre le statut d’œuvre culte, et c’est notamment grâce à la sortie du film en version director’s cut, en parallèle de l’album de la bande-originale qui ne voit le jour qu’en 1994. L’univers synthwave s’inspire des gammes rétrofuturistes initiées par Vangelis, mais également du style visuel très cyberpunk du film. Aujourd’hui, le bijou de Ridley Scott est enfin reconnu comme l’un des films les plus influents de tous les temps, et est entré dans le temple de la pop-culture.

L’introspection électronique de Brian Eno

Musicien et producteur émérite, Brian Eno est l’un des compositeurs les plus influents du XXI ème siècle. Né en 1948 dans le Suffolk en Angleterre, il étudie la peinture et la musique expérimentale à l’école d’art de Winchester. Il se passionne pour l’art conceptuel et se penche sur les recherches sonores de John Cage et Steve Reich, dont il s’inspire pour ses premières créations expérimentales. En 1971, il rejoint le groupe de glam-rock Roxy Music, où son rôle évolue au fil des années. Assigné en premier lieu à la table de mixage, il chante dans les chœurs avant de devenir le claviériste attitré avec son synthétiseur EMS VCS3. En raison de son incompatibilité relationnelle avec le chanteur Bryan Ferry, il quitte Roxy Music.

Brian Eno dans les années 70

En 1978, il bouleverse le destin de la musique électronique à venir, en lui accordant un pouvoir introspectif dont s’inspirent certaines branches de la synthwave. Avec son album Music for Airports produit par Conny Plank, il invente le style « ambient » qui définit une musique réflexive, à l’atmosphère minimaliste et froide. En 1984, il affûte ses expérimentations ambient avec Thursday Afternoon : opus constitué d’un unique morceau d’une heure que la technologie émergente autorise sur CD. Il collabore avec de nombreux musiciens, et s’illustre par ses talents en réalisation artistique notamment pour la trilogie berlinoise de David Bowie composée de Low et Heroes en 1977, puis de Lodger en 1979.

Music For Airports : l’acte fondateur de la musique ambient

En 1984, David Lynch adapte le premier tome du cycle de Dune écrit par Frank Herbert. Brian Eno est invité en tant que producteur de la bande-originale du film, enregistrée avec le groupe de rock américain Toto et l’Orchestre symphonique de Vienne. Tous les morceaux sont composés par Toto à l’exception de « Prophecy Theme » qui hante le film par sa dimension irréelle, plongeant l’auditeur dans un univers résolument ambient.

Siouxsie and the Banshees : 7 titres qui ont influencé les 80’s !

Siouxie and the Banshees

Le 27 Mai dernier Siouxsie Sioux, chanteuse du célèbre groupe anglais Siouxie and the Banshees (qui vécu un temps dans le Sud Ouest de la France) a célébré son 60ème anniversaire !

C’est l’occasion parfaite de rendre hommage à un des groupes de Post Punk les plus célébrés de la terre, en vous faisant découvrir 7 titres emblématiques des 80’s sans lesquels la face du monde de la musique d’aujourd’hui serait vraiment différente.

1 ) HONK KONG GARDEN – 18 Août 1978

Classée directement n°7 dans les charts anglais et produite par Steve Lillywhite (Peter Gabriel, Rolling Stones ou encore Morrissey), la chanson s’inspire d’événements racistes impliquant des skinheads contre la communauté chinoise de Chinatown.

En raison de son côté plus « mainstream » que les autres titres issus des groupes de musique Punk de l’époque, Honk Kong Garden donne naissance au terme de « Post Punk », employé par la presse anglaise pour cataloguer ce nouveau genre musical à mi chemin entre la pop et le punk et ainsi définir la musique produite par des groupes comme Wire ou Joy Division. Siouxsie and the Banshees s’est rendu célèbre quelques moi auparavant en 1977 en enregistrant pour la BBC, deux « Peel Sessions » très remarquées alors même que le groupe n’est pas encore signé sur une maison de disque.

2) HAPPY HOUSE –  30 Mars 1980

Issu du troisième album studio  intitulé « Kaleidoscope », le titre dénonce les abus de la société de consommation. Budgie, batteur et compagnon de Siouxsie Sioux apporte au titre une rythmique unique et réinvente un son qui préfigure ce que sera la Cold Wave notamment grâce aux guitares de John McGeoch (Magazine, Visage, Public Image Limited). Dans le clip promo, Siouxie Sioux apparaît les yeux charbonneux soulignés de Khol et habillée d’un costume d’Arlequin rose et noir qui semble s’intégrer au sol de la maison dont la géométrie impossible fait penser aux motifs du peintre néerlandais M.C. Escher et renforce l’idée d’une situation illogique. Les jeunes filles de l’époque s’emparent du look de Siouxsie Sioux et ce style vestimentaire va envahir les rues de Londres et les magazines de mode tels que Vogue.

3) CHRISTINE – 30 Mai 1980

Continuant d’inventer les 80s en créant la plus belle des histoires de la musique anglaise et du féminisme dans la musique, elle revient avec un titre sur les personnalités multiples qui raconte l’histoire de Christine, une fille au 22 visages. Une chanson inspirée de l’histoire vraie de Chris Costner Sizemore, une américaine schizophrène dont l’histoire avait été relatée dans différents livres à succès à la fin des années 70. En ajoutant un Flanger M117R sur ses guitares, John McGeoch continue de parfaire l’identité musicale du groupe ainsi que sa renommée. Celui-ci quittera le groupe en 1982. A noter qu’il existe une reprise de Christine par les Red Hot Chili Peppers jouée en 2001 pendant le V2001 festival et une autre par Simple Minds sortie sur une compilation en 2009.

4) ISRAEL –  28 Novembre 1980

En 1980, Polydor décide de sortir un single non issu d’un album, et ce qui semble comme un suicide commercial va devenir un hymne et consacrer le groupe définitivement comme le fervent défenseur d’une musique sombre et mystique du début des années 80. En live, Siouxsie habillée et maquillée à l’égyptienne, emprunte les images du peintre Klimt pour parfaire son style. Elle électrise le public qui saute et scande avec elle « Israel… in Israel ». Comme Bowie avant elle, Siouxsie Sioux va emprunter aux arts visuels et à la peinture, son maquillage romantique, ses tenues vestimentaires années 30 et définir un style unique et reconnaissable qui survit toujours aujourd’hui au travers des groupes et des fans de musique gothique. Cette chanson consacre définitivement l’icône « pop » et la déesse d’un monde sombre.

5) SLOWDIVE – 1er Octobre 1982

Premier single issu du cinquième album studio « A kiss In The Dream House ». Le groupe incorpore pour la première fois de son histoire des arrangements de cordes sur plusieurs titres, et des sessions sont enregistrées aux mythiques studios londonien Abbey Road. Ce sera le dernier album enregistré avec le guitariste McGeoch et définitivement, l’album le plus « arty » de ce début des années 80. Enrichi de nombreux effets sur les parties vocales, et enluminé d’instruments plus classiques comme des cloches ou de l’orgue, cet album va définir un son et une démarche artistique que des labels indépendants comme 4AD vont s’accaparer.  Ce n’est pas innocent si le titre de cette chanson deviendra bien des années plus tard le nom d’un des groupes fondateurs du shoegazing…

6) DEAR PRUDENCE – 1984

QUIZZ : Sauras-tu retrouver qui se cache dans cette reprise des Beatles, issue de l’album Hyæna (version 2009) entièrement composé avec cet invité de marque ? (Réponse à la fin de cet article)

7) CITIES IN DUST – 18 Octobre 1985

Il s’agit du premier single extrait de l’abum « Tinderbox ». Ce titre renoue avec l’urgence et la musique Post Punk des débuts du groupe mais il va aussi marquer la fin d’une période et du son de la première moitié des 80s. En décrivant la fin de la cité de Pompei, sans le savoir, Siouxsie décrit la fin de l’âge d’or de la musique Post Punk. Derrière elle, les Cocteau Twins ou encore Dead Can Dance, propulsés par l’excellent label indépendant 4AD, sont allés bien plus loin dans la recherche d’une esthétique radicale et ont ainsi acquis le statut de demi-dieux d’une « Pop Arty ». Ils vont détrôner la déesse dans le cœur des amateurs qui va plutôt s’attacher, après 1985, à rendre populaire sa musique en la rendant plus accessible. Entre temps le poulain de Siouxsie Sioux, Robert Smith, son double masculin maquillé et coiffé comme elle, a conquis le cœur de l’Europe entière avec The Cure ….

Réponse au QUIZZ: Après avoir assuré l’intérim pendant quelques mois en 1979, Robert Smith prend une nouvelle fois le relais et devient à son tour le guitariste officiel des Banshees de 1982 à 1984. Il enregistre avec eux le single Dear Prudence, une reprise des Beatles qui sort en 1984 aux Etats-Unis et se classe rapidement dans les charts et compose avec Budgie et Siouxsie Sioux l’album « Hyæna »