Les femmes à l’assaut du rap français

À la fin des années 70 dans le Bronx, alors que la situation sociale est catastrophique, le rap émerge en symbole de contestation. Les hommes s’en emparent, mais n’accordent qu’une faible visibilité aux femmes. Elles décident pourtant de se frayer un chemin sur scène, et les premières femcees – contraction de « female » et « emcees », maître de cérémonie en anglais – font entendre leur voix. Aux États-Unis, ces pionnières se nomment Sha Rock, The Sequence, ou Queen Latifah… Mais qu’en est-il dans l’hexagone ? Le rap fait ses balbutiements en France à la fin des années 80, mais le mouvement est aussi masculin qu’outre-Atlantique, et les femmes doivent redoubler d’acharnement pour gagner leur place dans un milieu étriqué. Voici cinq portraits de rappeuses qui n’en démordent pas, et se sont battues coûte que coûte pour exprimer leur flow.

Sté Strausz

Saliha, première à se jeter dans l’arène

Si la culture hip-hop commence à se développer en France au milieu des années 80, les femmes sont exclues ou reléguées au second plan car elles ne sont jamais créditées pour leur participation… Saliha rebat les cartes et change les règles du jeu. En 1987, âgée d’à peine 16 ans, elle est la première femme à se produire sur scène face à un public hargneux, essentiellement constitué d’hommes, et qui entend bien le rester. Dans le club qui l’accueille, Chez Roger – l’un des premiers à organiser des soirées rap dans la capitale – ses prestations sont tout de même saluées par New Generations MC’s, qui l’encouragent à persévérer.

Saliha

Sa position d’activiste cultive le respect et incite d’autres rappeuses à faire entendre leurs voix. En 1990, la compilation Rap Attitude est la première compilation rap à sortir en France, et Saliha est la seule femme invitée avec son titre « Enfants du ghetto ». Elle enregistre deux albums, Unique en 1991 et Résolument Féminin en 1994, mais sa carrière ne décolle pas, et son rôle de pionnière du rap n’est reconnu que par une poignée de personnes.

Sté Strausz, reine du rap intègre

Issue de la scène underground de Vitry-sur-Scène, Sté Strausz n’a que seize ans lorsqu’elle signe son premier EP en 1994, Sté Real. Produit par Sully B.Wax, ce mini-album marqué par le G-funk – sous-genre du hip-hop issu de la côte Ouest des États-Unis, influencé par le funk et l’atmosphère californienne – devient rapidement culte pour toute une génération de rappeurs.

Sté Real : premier EP en 1994

En 1997, elle participe à la compilation La haine, musiques inspirées du film, regroupant des morceaux inspirés du scénario de l’œuvre de Mathieu Kassovitz. Son premier album, Ma Génération, sort en 1998 et incarne le hip-hop intègre, axé sur des textes engagés et décapants. Sa voix puissante n’a rien à envier à ses homologues masculins, et ses punchlines acérées la hissent au rang des rappeuses françaises majeures. En 2010, elle coécrit avec Antoine Dole Fly Girls, Histoire(s) du hip-hop féminin en France, qui retrace le parcours de ces pionnières bien souvent restées dans l’ombre.

Le flow enragé de Casey

La rappeuse d’origine martiniquaise fait ses preuves au sein du collectif Anfalsh, aux côtés de B.James et Harry La Hache. Occupant une place à part dans le hip-hop hexagonal, elle récuse l’étiquette de « rappeuse française », et lui préfère celle de « rappeuse de fille d’immigrés » pour se qualifier. Dans ses textes, elle s’évertue à déboulonner le racisme, le passé colonial de la France ou l’oppression qui règne dans les quartiers.

Casey

Révélée en solo en 1997 avec son titre « La parole est mienne », Casey attend 2006 pour publier son premier EP Ennemi de l’ordre, non sans avoir multiplié les collaborations et s’être bâtie une solide réputation indépendante. En 2010, son troisième album solo Libérez la bête est acclamé par tous les amateurs de rap pour sa puissance incisive et sa réflexion sur les enjeux postcoloniaux.

Diam’s, le triomphe d’une femcee

Les années 2000 signent l’arrivée du rap entertainment en France, entraînant ses premiers succès commerciaux, mais rares sont les femmes sous le feu des projecteurs. Pourtant, l’une d’entre elles marque les esprits : Diam’s. Commençant à rapper très jeune, elle se sert de l’écriture pour combattre son passé chaotique et expier ses douleurs. Elle se fait un nom dans le milieu hip-hop à la fin des années 90 pour ses collaborations avec des figures de proue du rap : ATK et Lady Laistee.

Diam’s

Il lui faut pourtant attendre 2003 et la sortie de son deuxième album Brut de femmes sur le célèbre label Hostile (IAM, Youssoupha) pour être révélée auprès du grand public. « DJ », titre phare du disque, est formaté pour les pistes de dance et cartonne ; tandis que « Ma souffrance » témoigne de son passé de femme battue, la rappeuse étant très engagée dans la lutte contre les violences conjugales. Brut de femmes est certifié disque d’or et reste un an dans le top des meilleures ventes d’albums en France. Elle remporte même le prix du Meilleur album rap de l’année aux Victoires de la Musique en 2004 : une première historique pour une rappeuse !

Brut de femmes

Diam’s fait encore un coup d’éclat en 2007 avec Dans ma bulle, disque de diamant en 2007. Son single « La Boulette » fait fureur sur les ondes radio, s’écoule à 650 000 exemplaires, et gagne le prix de la « chanson francophone de l’année » aux NRJ Music Awards. En 2012 , elle annonce officiellement la fin de sa carrière musicale et publie son autobiographie.

Keny Arkana, l’esquisse d’un autre monde

Keny Arkana grandit à Marseille et connaît une enfance difficile. Ballottée de foyers en foyers, la fugue est son unique recours pour échapper à son enfer quotidien. À l’âge de douze ans, elle commence à rapper, et l’écriture devient son nouvel exutoire. En 1996, elle se fait connaître sur la scène underground phocéenne, notamment pour sa participation au sein du collectif État Major, véritable tremplin pour elle. Elle entame une carrière solo en 2003 et l’année suivante, elle fonde le mouvement La Rage du Peuple à Marseille. Ce collectif engagé utilise la colère à des fins positives, défend l’altermondialisme et lutte contre le traitement désastreux réservé aux banlieues.

Keny Arkana

En 2006, la rappeuse signe son premier disque chez le label indépendant Because Music (Booba, Casseurs Flowters). Grâce à une excellente promo, Entre Ciment et Belle Étoile fait le buzz, et Keny Arkana est adoubée par les amateurs de rap et le grand public. Son phrasé enragé descend en flèche l’oppression étatique, le racisme, et revendique son désir de vivre dans une société anticapitaliste. En dépit de ses textes contestataires, la rappeuse ne se définit pas comme une militante, et rejette en bloc les étiquettes politiques.

Quel avenir pour les rappeuses françaises ?

En 2020, les rappeuses émergentes telles que Chilla ou Shay connaissent un succès montant, sans pour autant atteindre la notoriété de Diam’s dans les années 2000. Souvent cantonnées au rap conscient, les Françaises ne jouissent pas de la même liberté que les Américaines. Si Nicki Minaj ou Cardi B sont ovationnées dans le pays de l’Oncle Sam, celles qui décident de s’approprier les codes du gangsta rap dans l’hexagone, en se dénudant et affichant explicitement leur sexualité, sont mises au rebut, à l’instar de Lisa Monet.

Les maisons de disques sont frileuses et refusent de signer les artistes en dehors des cadres tolérés par la société, qui sortent le public de sa zone de confort. Aujourd’hui encore en France, les rappeuses ne peuvent percer que si elles se conforment aux rôles que l’on attend d’elles : féministe mais sans excès, ni trop féminine, ni trop masculine. Le chemin est encore long avant que les femmes ne règnent sur le rap comme elles l’entendent…

Les collaborations iconiques de PJ Harvey

Égérie rock des années 90, la chanteuse et multi-instrumentiste anglaise réussit le pari de se renouveler à chaque nouvel opus. Son influence capitale sur les Musiques Actuelles se ressent dans les œuvres de nombreux musiciens contemporains. Pour explorer les mille facettes de cette artiste-caméléon, voici les moments forts de sa carrière, décryptés à travers le prisme de ses collaborations.

John Parish, le compagnon du Somerset

PJ Harvey et son musicien fétiche : John Parish

Polly Jean et John Parish ont plus d’un point commun. Ils grandissent tous deux dans la ville de Yeovil, dans le Somerset, au Sud-Ouest de l’Angleterre. Dans les années 70, Parish gagne sa vie en donnant des cours de guitare. Un beau jour, il décide de créer un atelier de musique moderne à l’école des Beaux-Arts de Yeovil, où la future chanteuse étudie la sculpture. Afin de mettre en théorie sa pratique, il fonde le groupe de rock Automatic Dlamani où, encore adolescente, PJ Harvey fait ses gammes à la guitare. Celle qui ne savait plaquer qu’une poignée d’accords avant de rencontrer Parish aguerrit sa pratique, jusqu’à dépasser son maitre lorsqu’elle s’envole de ses propres ailes pour enregistrer son premier album Dry, en 1992. Respecté pour son travail exigeant, Parish est le collaborateur idéal pour l’Anglaise, soucieuse de se renouveler à chaque nouvelle production. Il a pour habitude de réaliser ses compositions expérimentales en solitaire, dont Polly Jean s’inspire pour écrire ses paroles. Présent en tant que producteur et musicien sur la majorité de ses disques, Parish enregistre deux albums en duo avec PJ Harvey : Dance Hall at Louse Point en 1996 et A Woman a Man Walked By en 2009.

Björk, rebelle en puissance

S’il y a une autre icône qui est aussi habile et inventive que PJ Harvey, c’est bien Björk. En 1994, les deux chanteuses aux voix d’or sont invitées à la cérémonie des Brits Awards, et leur prestation ne laisse pas la salle indemne…. Elles font fureur auprès du public grâce à une reprise endiablée de « Satisfaction » des Rolling Stones. Le succès est tel qu’un enregistrement du single est prévu, mais Allen Klein, l’ancien manager des Rolling Stones, s’y oppose farouchement. C’est lors de cet événement que le grand public découvre réellement PJ Harvey.

Nick Cave, l’amant terrible

En 1996, Nick Cave and The Bad Seeds enregistrent Murder Ballade, un recueil de ballades sur le thème du meurtre. Inspirées par des chansons populaires des pays anglo-saxons, elles livrent avec force détails le récit de crimes passionnels. Le chanteur australien invite PJ Harvey en duo sur « Henry Lee », titre inspiré du chant traditionnel « Young Hunting », qui raconte l’histoire d’une femme assassinant son amant parce qu’il n’est pas amoureux d’elle. Les deux artistes vivent une idylle passionnelle lors de l’enregistrement du disque, mais elle bat rapidement de l’aile. Profondément blessé par leur séparation, Nick Cave dédie l’album The Boatman’s Call à sa relation avec la chanteuse.

Le trip lancinant de Tricky

Alors qu’il s’attèle à la composition de son album Angels With Dirty Faces, le musicien anglais contacte PJ Harvey, signée chez le label Island Records comme lui. Il lui envoie une démo de « Broken Homes », morceau sombre et planant qu’il a écrit tout spécialement pour qu’elle l’interprète. Elle retravaille sa voix afin de se fondre dans l’atmosphère désabusée du disque.

Errance citadine avec Tom Yorke

Au tournant du nouveau siècle, PJ Harvey délaisse le rock rugueux des débuts, et signe un renouveau pop qui séduit plus d’auditeurs. Sorti en 2000, Stories From The City, Stories From The Sea, est parsemé de références à la ville, entre grâce et tourments. Fan de Radiohead et de la voix de Tom Yorke, PJ Harvey l’invite à chanter en duo sur le titre envoûtant « This Mess We’re In », où la Grosse Pomme est symbole de désir et de désordre. Polly Jean frappe fort, avec des ventes estimées à un million d’exemplaires pour cet opus qui signe son plus gros succès commercial. Disque de platine avec 300 000 disques vendus au Royaume-Uni, disque d’or en France écoulé à 100 000 exemplaires… Il n’en faut pas plus à la chanteuse pour être la première femme à rafler un Mercury Prize, récompense annuelle qui consacre le meilleur album anglais de l’année.

Pascal Comelade, frenchy fan

En 2016, le chanteur et pianiste français réédite L’Argot du bruit, initialement paru en 1998. Il décide de remanier l’album en réenregistrant plusieurs de ses titres. Fan de la voix de PJ Harvey, il l’invite à chanter en duo sur le titre inédit « Featherhead ». L’Anglaise collabore également à l’écriture des titres « Love Too Soon » et « Green Eyes », sur lesquels elle pose sa voix.