Les royaumes célestes de Dead Can Dance

A l’époque où la new wave triomphe et dessine les contours d’une musique industrielle, Dead Can Dance fait ressurgir du passé des sonorités lithurgiques et bouleverse les années 80 grâce à son univers mystique.

Dead Can Dance naît de la rencontre entre Lisa Gerrard et Brendan Perry à Melbourne. Elle suit une formation en chant lyrique et grandit dans un quartier brassé par le métissage culturel, entrant en contact avec la musique turque ou grecque. Sur scène, elle ne se sépare jamais de son yangqin, un instrument traditionnel chinois de la famille des cithares. Brendan Parry vit entre Londres et la Nouvelle-Zélande, il se passionne pour le punk et devient le chanteur des Scavangers. Nourri d’influences post-modernes comme Arvo Pärt, il désire élargir ses expérimentations vers d’autres horizons et fonde Dead Can Dance avec quelques amis. Un soir, il rencontre Lisa à la sortie d’un club où il joue, et ce moment signe le début d’une longue histoire (amoureuse et musicale). Assistant d’abord aux répétitions du groupe en tant que spectatrice, Lisa Gerrard essaie un jour de mêler sa voix de contralto à la musique de Dead Can Dance, et les membres sont conquis. Dès lors, elle devient un pilier du groupe au même titre que Brendan Perry, et ses influences médiévales instillent un savoureux mélange de sonorités anciennes et modernes qui façonnent la signature de la bande.

Arvo Pärt a beaucoup influencé Brendan Perry.

En 1982, le groupe déménage à Londres dans l’espoir de remporter un succès plus franc auprès du public anglais, plus habitué aux sonorités arty que le public australien. Les musiciens enregistrent quelques démos qu’ils envoient à des maisons de disques, et l’oreille affûtée d’Ivo Watts-Russel y prête attention. En 1983, il propose à Dead Can Dance de jouer en première partie de Xmal Deutschland et très satisfait de leur prestation, il les signe.

« Dead Can Dance », 1984

 Les morts peuvent danser. C’est la signification que Brendan Perry donne à son groupe en s’inspirant d’un masque aborigène ayant le pouvoir de rendre vivantes les choses inanimées. Dans son nom, Dead Can Dance porte presque un dessein, celui de créer un monde nouveau, en brouillant les frontières entre ceux déjà existants et ceux que l’on imagine. Lisa Gerrard le parachève en inventant une langue, un chant en glossolalies qui l’accompagne depuis l’enfance. En s’extrayant du poids des mots, la chanteuse se libère de la cage de verre qu’est le langage et s’exprime grâce à la voie la plus intense : celle de l’émotion brute. Mais la singularité du groupe ne tient pas qu’à ces deux éléments. Forts d’un éclectisme complémentaire, Perry et Gerrard mêlent à leur goût pour la cold wave des sonorités liturgiques ou orientales entourant leurs concerts d’une aura mystique. Et le public d’alors, plus habitué aux morceaux punks de trois minutes s’empressant de conjurer le futur qu’aux incursions dans un passé revisité est subjugué par cette musique chamanique, à la fois classique et tribale, mais au sein de laquelle une communauté fidèle au rock se retrouve.

« Spleen And Ideal », 1985

En 1984 sort le premier opus sobrement intitulé Dead Can Dance qui, malgré un succès confidentiel, permet aux musiciens de passer plus de temps en studio car Ivo, conscient de posséder dans son écurie des prodiges, les confie au producteur John A.Rivers (actif au sein de Beggars Banquet). En 1986, l’album baudelairien Spleen And Ideal commence à délaisser petit à petit le rock car Perry, fervent amateur de musique classique et post moderne incorpore à ses compositions du violoncelle et des timbales. Ce disque est considéré par de nombreux fans comme le premier d’un triptyque formé avec Within The Realm Of A Dying Sun et The Serpent’s EggWithin The Realm Of A Dying Sun, album primordial dans la discographie des Australiens, paraît en 1987. C’est l’oeuvre où le groupe abandonne totalement le rock, où les guitares figurent aux abonnés absents. Dead Can Dance fait la part belle aux cordes et aux cuivres où trompettes, hautbois et violons sont légion. L’une des particularités de l’album est que les titres chantés par Perry et Gerrard sont nettement distingués : il ouvre le bal avec l’hypnotique « Anywhere Out Of The World », elle le clôt sur le lithurgique « Persephone (Gathering Of The Flowers) ». La pochette dévoile la pleureuse installée sur la tombe de Raspail au Père-Lachaise et épouse l’atmosphère sombre émanant d’un disque comme descendu des cieux, célébrant une intemporelle messe.

« Within The Realm Of A Dying Sun », 1987

Au cours des années 90, Dead Can Dance enregistre des albums aux tonalités de plus en plus baroques, et explore les musiques du mondes chères à Lisa Gerrard. Le groupe se sépare en 1998 pendant l’enregistrement d’un nouvel album en raison de divergences artistiques trop prononcées. Les deux membres poursuivent chacun de leur côté des collaborations entamées pendant leur carrière avec le compositeur de musique de films Hans Zimmer ou Les Mystérieuses Voix Bulgares avec lesquelles Gerrard enregistre et tourne.

« The Serpent’s Egg », 1988

En 2008, 4AD réédite et remastérise l’ensemble des albums de Dead Can Dance qui, pendant l’âge d’or du label, essuie quelques rivalités avec les protégés d’Ivo : les Cocteau Twins. Les deux groupes aux chanteuses hors du commun participent au projet This Mortal Coil mais Lisa Gerrard n’accepte pas qu’il offre plus de visibilité à Elizabeth Frazer. Néanmoins, à la différence des Cocteau Twins qui se séparent définitivement à la fin des années 90, Dead Can Dance se reforme en 2012 et sort en 2018 l’opus Dionysus avant d’entamer une tournée en 2019 qui attire toujours autant le public.