Holly Herndon, musicienne et chercheuse

Avec son nouvel album Proto, la compositrice et chercheuse Holly Herndon s’est lancée le défi de placer l’intelligence artificielle au cœur du dispositif musical. Pari réussi.

Le troisième album d’Holly Herndon, Proto, est sorti le 10 mai sur le label 4AD (Grimes, Cocteau Twins, Bon Iver). Après avoir passé son adolescence à Berlin durant l’âge d’or de la techno, elle rentre aux Etats-Unis, à San Francisco, pour aller étudier à l’université de Stanford où elle obtient son doctorat en composition musicale et informatique. La jeune femme a récemment achevé sa thèse qui portait sur l’utilisation des voix dans la musique par ordinateur et donne, aujourd’hui, des cours dans des ateliers de recherche. Avec ce nouvel opus, elle poursuit sa quête sonore avant-gardiste et pop où l’étendue des possibilités technologiques constitue un prolongement et une ouverture à l’innovation.

Avec son collaborateur de longue date Mathew Dryhurst, elle a créé une intelligence artificielle nommée Spawn (progéniture) accompagnant une kyrielle d’invités (dont la musicienne et productrice de musique électronique Jlin ayant de plus en plus de renommée outre-atlantique). Lors de l’enregistrement d’un « live training » où elle modifie les voix d’une chorale, cette combinaison inattendue produit un résultat qui l’est tout autant.

Pendant l’écoute des treize morceaux que constitue Proto, l’éclectisme est au rendez-vous. Certaines chansons comme « Eternal » ou « SWIM » – les plus pop de l’album – font la part belle à la tessiture d’Holly, éthérée mais puissante, guidée par un tempo alliant rythmes cotonneux et énergiques. Ses expérimentations sonores constituent une véritable odyssée à travers les âges et les espaces : l’ambient de « Crawler » est imprégné d’une atmosphère organique où les vibrations de la nature reconstituées par ordinateur, côtoient les voix a capella des choristes, donnant une dimension liturgique à la fin de la piste. En effet, la chanteuse s’est inspirée de nombreuses traditions musicales anciennes que sa créature Spawn mêle aux voix robotisées, comme sur « Fear, Uncertainty, Doubt », les remodulant à l’excès. Depuis son premier album Movement sorti en 2012, Holly imprègne ses compositions de philosophie et ses arrangements cybernétiques provoquent un enfantement de la beauté. Proto, projet comparable à nul autre, place l’intelligence artificielle au cœur de la création et on ne peut s’empêcher de se questionner sur la part de liberté qu’Holly lui concède. À quel point Spawn intervient-elle avec la chorale, les rythmiques, le mix final ?

En enfantant Proto, qu’elle appelle elle-même son « baby », Holly Herndon s’est lancée le défi d’ériger la technologie, non pas en tant qu’objet voué à déshumaniser l’art mais au contraire, à l’augmenter de manière indéfinie. Cette tentative abolit la frontière des genres et permet à l’artiste de créer un nouvel écosystème musical.

 

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